Printemps 2016 — Rapports de la commissaire à l’environnement et au développement durable Le point de vue de la commissaire

Printemps 2016 — Rapports de la commissaire à l’environnement et au développement durable Le point de vue de la commissaire

Planifier aujourd’hui l’infrastructure de demain

À l’heure où le gouvernement fédéral a annoncé une hausse importante de ses investissements dans l’infrastructure…

À l’heure où les scientifiques prévoient des phénomènes climatologiques plus fréquents et plus violents – avec des effets comme des inondations, des sécheresses et des feux de forêt – et qui plus que jamais mettront à l’épreuve des structures vieillissantes et fragilisées… le moment est bien choisi pour se pencher sur les constatations issues des audits réunis dans ces rapports. Ils ne pourraient arriver à un meilleur moment.

Les infrastructures que nous planifions aujourd’hui doivent être pensées non pas en fonction de la réalité actuelle, mais bien en fonction de ce que sera le pays en 2040, en 2050, et au-delà. Le Canada doit donc construire des immeubles, des routes, des ponts, des aqueducs, des égouts et des réseaux de transport résilients qui nous permettent de nous déplacer, de travailler, de faire rouler l’économie et de vivre dans des communautés dynamiques et en santé. Et ces infrastructures doivent aussi être construites de façon à répondre aux besoins des générations futures. Quand la résilience est intégrée à l’infrastructure, elle est aussi intégrée aux communautés, car celles-ci sont alors outillées pour se rétablir plus rapidement après un désastre.

Le besoin de bâtir une infrastructure résistante et d’assurer la durabilité des villes est aussi affirmé par le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies. Le Canada a souscrit à ce programme. Avec 192 autres pays, il s’est engagé à « prendre les mesures audacieuses et porteuses de transformation qui s’imposent d’urgence pour engager le monde sur une voie durable, marquée par la résilience ».

Selon la Constitution canadienne, les provinces sont légalement responsables des municipalités. Toutefois, par ses politiques, ses programmes de financement, sa réglementation (par exemple les exigences régissant l’efficacité énergétique ou les rejets d’eaux usées), sa gestion des édifices fédéraux et autres biens immobiliers (comme les sites contaminés et les terres portuaires), et ses recherches dans des domaines comme la conception des logements, le gouvernement fédéral peut exercer une influence sur la durabilité des municipalités d’un bout à l’autre du pays – et il le fait.

Je souhaite aborder certaines des faiblesses fondamentales que nous soulevons dans nos derniers rapports d’audit. Que ce soit par l’information, le financement, les outils ou les programmes qu’il dispense, les participations du gouvernement fédéral sont trop souvent fragmentaires, axées sur le court terme, et motivées par ce que le gouvernement veut mettre en place plutôt que par ce que les destinataires veulent recevoir.

Pour illustrer ce point, je vais m’appuyer sur trois exemples tirés de nos récentes constatations : la façon dont les projets d’infrastructure sont étudiés aux fins de financement; le manque d’incitatifs pour encourager les provinces et les territoires à investir pour atténuer les effets du temps violent; et l’information et les outils que le gouvernement met à la disposition des décideurs, comme les planificateurs et les ingénieurs urbains, qui sont chargés de planifier et de concevoir une infrastructure résistante.

Le financement des projets d’infrastructure

Tout d’abord, en ce qui concerne l’examen des projets d’infrastructure aux fins de financement, nous avons constaté qu’Infrastructure Canada n’avait pas adéquatement cerné et géré les risques environnementaux. Le Ministère s’attendait à ce que les propositions de projets d’envergure renferment des informations sur les risques environnementaux, mais il n’a pas utilisé ces informations pour analyser les risques liés aux changements climatiques, par exemple. Lorsque les risques environnementaux ne sont pas pris en compte, il se peut que les projets ne soient pas conçus de façon à minimiser les effets environnementaux ou à résister aux impacts des phénomènes climatologiques futurs. Cela veut dire qu’un jour, les municipalités pourraient se trouver confrontées à des coûts importants et imprévus.

De plus, les programmes de financement fédéral actuels n’appuient pas activement le recours à des approches innovatrices pour atténuer les risques environnementaux. L’innovation est essentielle pour répondre aux besoins futurs des municipalités du pays, surtout compte tenu des contraintes qui s’exercent sur les ressources financières et des risques émergents, comme les effets des changements climatiques. Infrastructure Canada nous a indiqué que le Ministère n’avait pas reçu le mandat de sélectionner les projets d’infrastructure de façon à encourager l’innovation. Cela veut dire qu’il y a un risque que des approches innovatrices « vertes » ne viennent pas remplacer les technologies plus anciennes.

Aussi, lorsque nous avons examiné les projets d’infrastructure financés par Infrastructure Canada, nous avons constaté que le Ministère ne disposait pas d’indicateurs, d’objectifs et d’échéanciers définitifs pour mesurer la performance sur le plan environnemental. En particulier, le Ministère n’avait pas évalué dans quelle mesure l’argent consacré à des projets financés par le Fonds de la taxe sur l’essence avait contribué, comme prévu, à assainir l’air et l’eau et à réduire les émissions de gaz à effet de serre. En revanche, le Fonds municipal vert, plus petit et géré par la Fédération canadienne des municipalités, a mesuré les avantages environnementaux issus des projets qu’il a financés et en a rendu compte.

Incitatifs pour encourager les investissements visant à atténuer les effets du temps violent

En ce qui concerne mon deuxième exemple, nous avons constaté que les efforts faits par le gouvernement fédéral n’avaient pas encouragé les provinces et les territoires à investir dans des projets visant à atténuer les effets du temps violent. Cette lacune est importante. En effet, le fait d’augmenter la résilience de l’infrastructure aux catastrophes d’envergure est crucial pour maîtriser les coûts de rétablissement, minimiser les perturbations touchant la sûreté et la sécurité de la population canadienne, et faire en sorte que l’économie continue de rouler.

Le gouvernement fédéral a mis en place quatre programmes pour appuyer les projets d’atténuation. Pour trois d’entre eux, c’est près de 253 millions de dollars qui sont mis à la disposition des provinces et des territoires. Cependant, aucun de ces programmes n’est spécifiquement conçu pour améliorer de façon prononcée la résilience de l’infrastructure canadienne.

Par exemple, le Nouveau Fonds Chantiers Canada, qui réunit plusieurs programmes et qui est administré par Infrastructure Canada, a été créé en 2014 pour une période de 10 ans. Il compte parmi les fonds qui peuvent financer des investissements d’infrastructure importants. Nous avons constaté que 5 % des propositions approuvées jusqu’à présent ont visé l’atténuation des catastrophes. L’atténuation des catastrophes est un des secteurs prioritaires parmi les 14 dans lesquels ce Fonds prévoit une aide aux provinces, aux territoires et aux municipalités pour améliorer leur infrastructure. Le transport en commun, la réfection d’autoroutes et l’amélioration des infrastructures d’eau potable et d’eaux usées en sont d’autres. Les provinces et les territoires sont responsables d’établir la priorité des projets d’infrastructure pour lesquels ils demandent un financement fédéral. Le Fonds n’est pas conçu pour encourager les provinces et les territoires à mettre la priorité sur l’atténuation des catastrophes.

L’information et les outils pour appuyer les plans d’atténuation

Le troisième exemple d’un domaine dans lequel le gouvernement fédéral pourrait faire beaucoup plus pour appuyer la planification d’une infrastructure résiliente a trait à l’information et aux outils qu’il met à la disposition des personnes qui prennent les décisions.

Nous avons constaté que certaines données étaient incomplètes, et que certains outils étaient désuets. L’information et les outils que produit le gouvernement ne sont pas motivés par les besoins des décideurs. Par exemple, les ingénieurs se fient à des outils pour calculer la probabilité de précipitations extrêmes ou la durée des tempêtes lorsqu’ils planifient et conçoivent les infrastructures municipales d’approvisionnement en eau. Or, les données qui servent à compiler ces outils n’ont pas été régulièrement produites depuis 2006.

De même, si elles sont munies de cartes délimitant les plaines inondables, les municipalités peuvent mieux planifier la croissance future aux endroits où le risque d’inondation est moindre, et prévoir la construction d’une infrastructure résiliente aux endroits où le risque d’inondation est plus grand. Or, les lignes directrices nationales pour guider la création de cartes et évaluer les risques d’inondation n’ont pas été mises à jour depuis 1996. En l’absence de normes et de directives issues du fédéral, les provinces et les territoires ont fait de leur mieux pour gérer et mettre à jour leurs propres cartes, ce qui a causé un manque d’uniformité entre les divers ordres de gouvernement au Canada.

Les provinces et les territoires sont responsables d’établir leurs propres codes du bâtiment. Pour ce faire, ils s’inspirent du Code national du bâtiment. Des consultations avec les parties prenantes ont eu lieu au moment d’élaborer le Code national du bâtiment, mais celui-ci ne tient toujours pas compte des prévisions relatives aux conditions climatiques futures. Il est important de tenir compte de ces prévisions pour construire des maisons et des édifices assez solides pour résister aux effets des phénomènes climatologiques violents. Bien que certaines charges climatiques aient servi à élaborer le Code de 2015, l’approche actuelle pour concevoir des édifices adaptés aux effets du climat demeure basée uniquement sur des données historiques. Le Conseil national de recherches du Canada n’a pas encore intégré les valeurs associées aux tendances en matière de changements climatiques dans les révisions du Code, ce qui pourrait avoir des conséquences directes sur les bâtiments et structures pendant des décennies.

Mon dernier point, et peut-être le plus important, c’est que les décideurs n’ont pas l’information dont ils ont besoin pour appuyer la création d’une infrastructure résiliente pour l’avenir. La planification de l’infrastructure pour les générations futures suppose un portrait exact de l’état actuel de l’infrastructure du pays. Elle exige aussi une coordination entre les divers ministères fédéraux, et entre le gouvernement fédéral et les provinces, les territoires et les municipalités. Dans l’état actuel des choses, le portrait est incomplet.

Près de la moitié des 123 municipalités qui ont fourni des données pour le Bulletin de rendement des infrastructures canadiennes de 2012 ont déclaré n’avoir aucune donnée sur l’état de leur infrastructure souterraine, comme les conduites de distribution d’eau. Infrastructure Canada ne fait pas de recherches indépendantes sur les besoins de financement associés à l’infrastructure municipale. Le Ministère a utilisé des données produites par Statistique Canada pour estimer l’âge de l’infrastructure du Canada, mais ces estimations n’ont pas tenu compte de l’état actuel ou du rendement de cette infrastructure, et elles n’incluaient pas de prévisions des besoins futurs. En 2009, Infrastructure Canada avait conclu un protocole d’entente avec Statistique Canada pour obtenir cette information, mais il n’a jamais donné son approbation finale. En l’absence d’information exacte et à jour sur l’état actuel de l’infrastructure du pays, il pourrait arriver que les fonds fédéraux ne soient pas affectés là où ils pourraient être les plus efficaces.

Une lueur d’espoir au tableau : l’appui d’Infrastructure Canada pour les plans de gestion des actifs maintenant exigés dans les ententes découlant du Fonds de la taxe sur l’essence. Ces plans constituent une façon d’aborder la gestion de l’infrastructure dans une perspective durable et ils sont, à notre avis, un élément clé de l’intégration systématique des effets des changements climatiques et d’autres risques dans l’infrastructure de l’avenir.

Le besoin pressant de prôner la résilience

Une chose ressort clairement de nos constatations : malgré tout le travail accompli par le gouvernement fédéral pour exercer son rôle comme source d’information, de financement, de programmes et d’outils pour les décideurs, il n’a pas mis en place tous les éléments qui sont nécessaires pour faire en sorte que les considérations liées aux changements climatiques soient efficacement intégrées aux programmes, aux politiques et aux opérations liés à l’infrastructure et à l’atténuation des catastrophes. Dans un tel contexte, il devient difficile pour les provinces, les territoires et les municipalités de planifier l’avenir avec assurance.

Les recommandations formulées dans nos rapports sont vastes et de grande portée, allant d’intégrer les effets des changements climatiques dans le Code national du bâtiment, au besoin de veiller à ce que les risques environnementaux – y compris ceux relatifs aux changements climatiques – soient pris en compte et gérés.

Je suis encouragée par les réponses que nous avons reçues à nos recommandations. Les entités que nous avons vérifiées ont toutes accepté nos recommandations et se sont engagées à les mettre en œuvre. Il revient maintenant au Parlement d’assurer la suite des choses et de s’appuyer sur le travail de ses comités pour tenir ces entités à leurs engagements. Mon équipe et moi demeurons à la disposition des parlementaires pour les épauler dans ce travail.

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