Automne 2016 — Rapports du vérificateur général du Canada Message du vérificateur général du Canada

Automne 2016 — Rapports du vérificateur général du CanadaMessage du vérificateur général du Canada

Ces rapports de l’automne 2016 au Parlement coïncident avec la moitié de mon mandat de dix ans à titre de vérificateur général du Canada.

Le moment est marquant pour moi, et pourrait suffire à expliquer pourquoi j’ai décidé de rédiger ce message. Mon intention n’est cependant pas de résumer ce que le Bureau du vérificateur général du Canada a accompli sous ma gouverne. En effet, le mandat qui m’a incité à prendre la plume est plus substantiel – il s’agit du mandat du gouvernement canadien élu il y a un an, à l’automne 2015.

Un nouveau Parlement a l’avantage du regard nouveau, doublé de la possibilité de poser des questions sur la fonction publique que les parlementaires sont chargés de surveiller. Ces questions devraient chercher à savoir si les ministères et organismes gouvernementaux travaillent le mieux possible pour les Canadiens et, si la réponse est négative, quels obstacles bloquent l’amélioration.

Appuyer le rôle de surveillance des parlementaires

Je crois que le Bureau du vérificateur général du Canada est bien placé pour appuyer le rôle de surveillance des parlementaires. Pour le travail que nous faisons, il importe peu qui est assis de chaque côté de la Chambre des communes. Notre travail consiste à examiner les activités et les programmes du gouvernement et à fournir aux parlementaires des renseignements impartiaux sur ce qui fonctionne, et sur ce qui ne fonctionne pas.

Nous sommes fiers du travail que nous faisons pour le Parlement. Lorsque nous formulons des recommandations – qu’elles viennent du vérificateur général ou du commissaire à l’environnement et au développement durable – le gouvernement les accepte presque toujours. Nous observons l’incidence de nos audits de performance, et les ministères commencent souvent à améliorer leurs services avant que les audits ne soient finis. Au fil des années, nos audits d’états financiers ont considérablement amélioré la transparence des rapports financiers du gouvernement.

Malgré ces bons résultats, je crois que le gouvernement pourrait tirer meilleur parti de nos audits s’il les utilisait différemment, si les ministères et les organismes s’efforçaient de devenir plus productifs et de mettre davantage l’accent sur ce qu’ils livrent. Après tout, d’une façon ou d’une autre, tout ce que fait le gouvernement vise à servir la population canadienne. La machine gouvernementale devrait donc « offrir un bon service », dans l’intérêt des Canadiennes et Canadiens, tant individuellement que collectivement.

Les entraves à la productivité gouvernementale

Afin d’aider le nouveau Parlement à s’acquitter de son rôle de surveillance et le gouvernement, à « offrir un bon service », je crois utile de revenir sur l’ensemble du travail accompli par le Bureau du vérificateur général du Canada. C’est une façon de cerner les enjeux qui reviennent audit après audit, année après année, et qui parfois persistent pendant des décennies.

Parmi ces enjeux, il y a les ministères et organismes qui ont de la difficulté à sortir de leurs silos pour tirer parti du travail qui se fait soit ailleurs au sein de la même organisation, soit plus largement, chez leurs homologues à l’externe.

Et que dire des programmes qui sont gérés de façon à servir les besoins des gens qui les dirigent plutôt que ceux des gens qui en sont les bénéficiaires? Qu’en est-il des programmes où l’on se préoccupe de mesurer ce que font les fonctionnaires plutôt que la qualité du service fourni à la population? Dans de tels cas, la perception du service est très différente selon que l’on parle à celui qui les fournit ou au citoyen qui tente de s’orienter dans les formalités administratives.

Je parle aussi de problèmes comme des organismes de réglementation qui sont incapables d’évoluer au même rythme que les industries qu’ils réglementent, ou encore des rapports publics qui ne donnent pas une image complète et claire de ce qui se passe et ce, pour une myriade de raisons – autant des systèmes désuets ou qui ne marchent pas, que de données qui sont ni fiables, ni complètes, ni adaptées aux besoins, ou encore qui ne sont pas utilisées. Nos audits relèvent ces mêmes problèmes au sein de différentes organisations à maintes et maintes reprises. Et ce que je trouve encore plus préoccupant, c’est que lorsque nous effectuons un suivi, nous constatons souvent que les résultats des programmes ne se sont pas améliorés.

Le peu d’accent mis sur le citoyen

Au sein de notre système gouvernemental, le Parlement établit les règles, les ministères et organismes qui forment le gouvernement exécutent la volonté du Parlement, et les citoyens reçoivent les services. Du moins, c’est cela en principe. Au fil des ans, nos travaux d’audit ont révélé que la fonction publique ne mettait pas l’accent sur les utilisateurs finaux, en l’occurrence les Canadiennes et Canadiens.

Notre audit de la sécurité à la frontière, qui figure parmi nos rapports de l’automne 2016 au Parlement, illustre justement ce problème. Nous avons constaté que l’Agence des services frontaliers du Canada et d’autres ministères et organismes ont mis en œuvre de nombreuses nouvelles mesures pour resserrer la sécurité et accélérer le mouvement des marchandises et de voyageurs à la frontière. Toutefois, ces ministères et organismes ne peuvent expliquer aux Canadiennes et Canadiens en quoi ces mesures ont sensiblement amélioré la sécurité à la frontière ou accéléré la circulation des personnes et des marchandises.

Notre récent audit du processus mis en place pour régler les revendications particulières des Premières Nations montre lui aussi un manque d’attention accordé aux résultats pour les gens. En 2007, le gouvernement a révisé ce processus de résolution. Il souhaitait que les revendications soient réglées rapidement, équitablement et avec transparence – de préférence par voie de négociation. Des changements ont été apportés sans consulter les Premières Nations, et nous constatons maintenant que certaines réformes ont en fait créé des obstacles au règlement des revendications. Affaires autochtones et du Nord Canada a rapporté que les réformes de 2007 étaient un succès. En fait, depuis 2008, le nombre de revendications qui ont été retirées ou qui sont en suspens excède le nombre de revendications réglées.

Des délais d’attente prolongés

À l’ère de l’instantané, les Canadiennes et Canadiens s’attendent à des résultats rapides alors même que les gouvernements sont souvent aux prises avec des approches désuètes et lourdes qui ne cadrent pas avec ces attentes. La lenteur de la machine gouvernementale est un sujet que nous avons soulevé souvent, et il revient encore sur le tapis avec ces rapports de l’automne 2016. Ainsi, plus de 170 000 objections soulevées par des particuliers et par des sociétés attendent actuellement d’être traitées par l’Agence du revenu du Canada. L’Agence peut prendre de quelques mois à plusieurs années avant de clore ces dossiers.

L’Agence ne tient pas compte du point de vue du contribuable lorsqu’elle mesure le temps que prennent ces interventions. Par exemple, elle ne compte pas les jours pendant lesquels un dossier est en attente avant d’être confié à un agent des appels. De même, elle ne rend pas compte de l’ensemble du temps pendant lequel les contribuables attendent une décision. L’Agence n’informe jamais les parties qui soulèvent une objection du délai auquel elles peuvent s’attendre avant que l’Agence ne rende sa décision.

Les retards déraisonnables sont importants parce que les montants conservés par l’Agence du revenu du Canada pendant qu'elle examine les objections ne sont pas utilisés de façon aussi productive qu'ils pourraient l’être, ce qui a un coût économique. L’Agence a mis cinq ans ou plus pour régler 79 000 dossiers d’une valeur de près de quatre milliards de dollars.

En 2015, notre audit du Programme de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada a révélé que l’arriéré des appels relatifs aux demandes de prestations avait augmenté après la création du Tribunal de la sécurité sociale du Canada – lequel avait été mis en place pour accélérer le processus d’appel et en améliorer l’efficacité. En 2014, le délai moyen pour statuer sur un appel dépassait 800 jours, soit plus du double du temps moyen requis trois ans auparavant. De même, notre audit de 2014 des services de santé mentale pour les vétérans a aussi fait ressortir que des obstacles persistants ralentissaient l’accès en temps opportun aux prestations d’invalidité. Dans ces deux cas, ce sont des Canadiennes et Canadiens parmi les plus vulnérables qui attendaient le plus longtemps avant de recevoir des services.

L’absence de progrès

En seulement cinq ans, avec une centaine d’audits de performance et d’examens spéciaux à mon actif depuis le début de mon mandat, les résultats de certains audits évoquent les mots de l’illustre Yogi Berra – « encore du déjà vu ».

L’un des premiers rapports que j’ai présenté en 2012 portait sur l’examen du processus suivi pour remplacer les avions de chasse du Canada. Dans ce rapport, nous avions conclu que la Défense nationale avait vraisemblablement sous-estimé les coûts complets du cycle de vie du F-35. Dans les rapports que nous venons de présenter au Parlement, on retrouve le même thème dans l’audit de la maintenance de l’équipement militaire. Encore une fois, la Défense nationale n’a pas estimé le coût d’entretien total de l’équipement sur toute sa durée de vie. Le budget original du Ministère pour les services d’entretien approfondi se chiffrait à 35 millions de dollars par sous-marin. Or, pour les services d’entretien approfondi livrés récemment, le coût a été presque 10 fois plus élevé, soit plus de 320 millions de dollars.

Un autre thème qui refait trop souvent surface est celui de la disparité de traitement qui touche les peuples autochtones du Canada. À la fin de son mandat, Sheila Fraser, ma prédécesseure, a employé le mot « inacceptable » pour résumer son impression après dix ans d’audits et de recommandations sur les enjeux touchant les Premières Nations. Nous avons continué à auditer ces enjeux après mon entrée en fonction. Chaque année, nous présentons au moins un rapport sur des enjeux qui importent aux Premières Nations, y compris la gestion des urgences et les services de police dans les réserves, l’accès aux services de santé et, plus récemment, les services correctionnels pour les détenus autochtones. Considérant les résultats de ces audits et de ceux qui les ont précédés, je dois dire que la situation actuelle est plus qu’inacceptable.

On parle maintenant de plus d’une décennie d’audits qui montrent des programmes qui n’ont pas efficacement servi les peuples autochtones du Canada. Pour livrer des programmes efficaces, il faut faire preuve de leadership. Et je parle ici de leadership aux niveaux fédéral, provincial, territorial et des Premières Nations. Le gros de la responsabilité incombe au gouvernement fédéral, mais tous les niveaux ont une certaine responsabilité. Tant qu’une perspective axée sur la résolution des problèmes n’est pas adoptée pour aborder ces enjeux et élaborer des solutions qui s’articulent autour des gens plutôt que des litiges, des querelles d’argent et des entraves administratives, le pays continuera de dilapider le potentiel et les vies d’une forte proportion de sa population autochtone.

Se tourner vers l’avenir

Les vérificateurs sont des gens qui se préoccupent de ce qui est arrivé avant. Ils n’ont généralement pas l’habitude de penser à l’avenir. Pourtant, pour que les choses changent, je crois qu’il est important d’adopter un nouveau point de vue et d’être prêt à regarder les choses sous un angle nouveau.

Outre les difficultés du moment, les députés et les sénateurs et sénatrices devraient songer à ce qu’un monde qui change rapidement peut signifier pour les entités gouvernementales, puis leur demander si elles sont prêtes à réagir à des changements rapides. Le développement technologique et les processus décisionnels participatifs ont déjà des retombées sur les gouvernements. Qui aurait pu prévoir, il y a quelques années, que des changements dans les industries du taxi et de l’hébergement pour les voyageurs s’étendraient aux quatre coins du monde?

À ce stade, le gouvernement accuse peut-être déjà du retard sur la population civile. Aussi récemment qu’en 2013, nous avons constaté que les services gouvernementaux en ligne n’étaient pas axés sur les besoins de la population canadienne, et que l’accès à ces services était complexe et exigeait beaucoup de temps. Ces résultats soulignent l’écart entre la capacité du gouvernement à fournir des services fondés sur la technologie et les attentes des Canadiennes et Canadiens.

Les ministères et organismes gouvernementaux doivent envisager sous un nouvel angle leur rôle à titre de fournisseurs de services. L’appareil gouvernemental dans son ensemble doit déterminer quels services seront perturbés par la technologie, et il doit se distinguer en tant que fournisseur de services pour demeurer pertinent. Des produits et des services qui étaient considérés comme essentiels à la vie il y a quelques années – tels que les services de téléphonie fixe et de câblodistribution – se voient maintenant remplacés par d’autres produits et services issus des innovations technologiques. À une époque, c’était le gouvernement qui se chargeait d’acheminer le courrier d’une personne à l’autre. L’avènement du courrier électronique, il y a 25 ans, a bouleversé le rôle du gouvernement dans le secteur des services postaux.

Certaines sources affirment que Microsoft va « résoudre » le cancer d’ici dix ans en « reprogrammant » les cellules malades. Si cette prévision s’avère fondée, quel sera l’impact sur le coût des soins de santé, le financement des services de santé, les régimes de retraite à prestations déterminées et le Régime de pensions du Canada?

Le co-fondateur de Lyft, John Zimmer, invite les gens à imaginer un monde construit autour des gens plutôt que de l’automobile. Il prévoit que d’ici 2025, les voitures particulières auront pour ainsi dire disparu dans les grandes villes américaines, avec la montée des parcs de véhicules autonomesNote de bas de page 1. Notre audit de la surveillance de la sécurité des véhicules automobiles révèle que Transports Canada peut mettre plus de dix ans pour élaborer bon nombre des règlements relatifs aux véhicules. Donc, si la prévision de John Zimmer est exacte, le Ministère accuse déjà du retard. Il faut absolument que les ministères comprennent que leurs services doivent être bâtis autour des citoyens, et non des processus. S’ils ne le font pas, ils peuvent s’attendre à ce que les services qu’ils offrent soient perturbés.

Alors même que je plaide pour améliorer les services dans l’intérêt des citoyens à titre individuel, je comprends aussi que les fonctionnaires n’ont pas la tâche facile. En effet, ils doivent faire la part entre les besoins de la société dans son ensemble et ceux de l’individu et ce, souvent dans un contexte de ressources limitées. Cela est d’autant plus difficile en période d’austérité. De plus, les fonctionnaires opèrent dans un monde où les changements se succèdent rapidement, mais où les décisions gouvernementales se font parfois attendre.

Conclusion

Les comités parlementaires jouent un rôle crucial lorsqu’ils demandent des comptes aux ministères. Je crois que ces comités – autant ceux de la Chambre des communes que ceux du Sénat – ont un rôle important à jouer en ce qui concerne nos rapports d’audit, en les utilisant non seulement pour comprendre ce qui s’est passé, mais aussi pour s’assurer que des changements ont lieu. Les comités devraient inviter les ministères et les organismes à comparaître devant eux à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’il soit clair que les changements requis pour améliorer les services à la population ont été faits.

Je me demande si, dans quelques années, lorsque ce gouvernement aura achevé son mandat et que la fin du mien sera proche, j’aurai à répéter ces mêmes mots ou si je pourrai parler d’améliorations concrètes relatives à des services gouvernementaux axés sur les besoins des gens.