Pourquoi personne ne semble porter attention aux états financiers des gouvernements?

Pourquoi personne ne semble porter attention aux états financiers des gouvernements?

Notes pour un discours de Michael Ferguson, Comptable professionnel agrééCPA, Comptable agrééCA, Fellow comptable professionnel agrééFCPA, Fellow comptable agrééFCA (Nouveau-Brunswick), Vérificateur général du Canada, le 23 novembre 2017

Bonjour!

La plupart d’entre vous savent ce que fait le Bureau du vérificateur général du Canada. Je vais tout de même commencer par vous donner un petit aperçu du Bureau.

Le Bureau compte environ cinq cent soixante employés, situés principalement dans son bureau d’Ottawa, mais aussi dans ses bureaux régionaux à Halifax, à Montréal, à Edmonton et à Vancouver. Nous réalisons des audits de performance des programmes publics et nous auditons les états financiers des gouvernements et des sociétés d’État. Nous effectuons aussi des examens spéciaux des moyens et méthodes des sociétés d’État tous les dix ans. Les audits de performance du Bureau sont réalisés sous ma direction ou celle de la commissaire à l’environnement et au développement durable.

Nos travaux visent non seulement le gouvernement fédéral, mais également les trois territoires canadiens, puisqu’ils n’ont pas leur propre vérificateur général. Nous avons récemment publié un rapport qui est pertinent dans le contexte de ma présentation d’aujourd’hui. Il s’agit du Commentaire sommaire sur nos audits d’états financiers de 2015-2016. Vous le trouverez sur notre site Web.

Sur le plan personnel, je suis le vérificateur général du Canada depuis six ans et je travaille – j’ai peine à le dire – depuis environ 30 ans dans le domaine de la gestion des finances publiques. Au cours de ma carrière, j’ai dû préparer des états financiers d’un gouvernement, mais aussi auditer ce type d’états financiers. Je suis donc très conscient du niveau de soin et d’attention qui doit être consacré à la préparation et à la diffusion de ces états financiers.

Aujourd’hui, je veux vous parler de quelque chose qui me préoccupe et qui touche le contexte financier actuel au sein du gouvernement : il semble que presque personne ne porte attention aux états financiers des gouvernements. Il va sans dire que nos gouvernements pourraient être portés à penser que cette situation est un point positif plutôt qu’un défaut du système. Mais, mon inquiétude à cet égard a été à nouveau renforcée, il y a quelques semaines, lorsque le gouvernement fédéral a publié les comptes publics, qui comprennent les états financiers audités. J’ai cherché le communiqué du gouvernement sur la publication des comptes publics. Vous pouvez voir ce que j’ai trouvé sur l’écran derrière moi.

Vous travaillez peut-être dans une administration où les états financiers audités suscitent beaucoup d’attention et de discussions et sont considérés comme une source d’information précieuse pour vos députés, mais, selon moi, c’est l’exception plutôt que la règle. Je suis d’avis que beaucoup se soucient du budget d’un gouvernement, mais que peu prêtent attention aux chiffres réels. Ne vous méprenez pas sur le sens de mes paroles : le budget est très important, puisqu’il donne au Parlement l’occasion de débattre des dépenses estimatives que les gouvernements sont autorisés à engager. Par contre, cela me rappelle ce qu’avait l’habitude de dire Norm Betts – un ancien ministre des Finances du Nouveau-Brunswick : « Équilibrer un budget est à la portée de tout le monde – le plus difficile, c’est d’équilibrer les chiffres réels! »

Le peu d’intérêt suscité par les états financiers pourrait dénoter leur peu d’importance. Cela me préoccupe puisque beaucoup de temps et d’efforts sont consacrés à la préparation et à l’audit des états financiers des gouvernements et d’autres informations financières. Cela nous incite aussi à nous demander pourquoi le Conseil sur la comptabilité dans le secteur public passe autant de temps à peaufiner des normes comptables pour le secteur public. Alors, si les états financiers des gouvernements sont importants, pourquoi ne suscitent-ils pas plus d’intérêt, surtout de la part d’un des principaux groupes de parties prenantes : les parlementaires?

Cela me tracasse depuis un certain temps et, aujourd’hui, je me pencherai sur les motifs qui, selon moi, expliquent pourquoi les états financiers des gouvernements ne suscitent pas l’attention qu’ils méritent. Selon le Manuel de comptabilité pour le secteur public, les états financiers d’un gouvernement doivent servir à communiquer des informations à ceux qui les utilisent. Le Manuel nous dit que, pour ce faire, les informations doivent être pertinentes, fiables et communiquées d’une manière utile. Il explique qu’une information pertinente est une information qui a une valeur prédictive, rétrospective et redditionnelle, et qui est publiée rapidement. Selon le Manuel, les caractéristiques d’une information fiable sont la fidélité, l’exhaustivité, la neutralité, la prudence et la vérifiabilité. Il indique également que pour être utile, l’information doit être communiquée de manière à être comparable et compréhensible et elle doit être présentée clairement.

Pertinence, fiabilité et utilité.

Gardons ces trois qualités à l’esprit et penchons-nous sur les questions suivantes :

L’information financière du gouvernement est-elle importante?

Parlons d’abord de pertinence : l’information financière des gouvernements est-elle importante? Les états financiers sont-ils importants?

Pour analyser la pertinence, je vais commencer par vous présenter un cas décrit dans un livre de Jacob Soll intitulé « The Reckoning – Financial Accountability and the Rise and Fall of Nations ». L’auteur décrit notamment le rôle de la comptabilité dans l’histoire de l’Empire romain. Il raconte qu’à plusieurs reprises Cicéron s’est plaint publiquement que le vice-consul Marc Antoine ne tenait pas des livres de comptes exacts, qu’il falsifiait des comptes et des signatures et qu’il dilapidait des sommes considérables volées à César. Malheureusement pour lui, tout juste après avoir dénoncé publiquement Marc Antoine et ses opérations financières louches, Cicéron voit Marc Antoine prendre le pouvoir, au moyen d’un triumvirat. Marc Antoine fit assassiner Cicéron et exposer sa tête et ses mains au Forum. Selon Soll, ce geste illustre tristement le fait que les puissants de ce monde réagissent plutôt mal lorsqu’on leur demande d’ouvrir les livres comptables.

Soll indique aussi qu’une mauvaise comptabilité risque de revenir hanter les responsables. Dès la dissolution du triumvirat, Marc Antoine se suicida après avoir perdu une bataille contre l’un de ses confrères, Octavien. Octavien prend alors le pouvoir, devient l’empereur Auguste et rétablit l’ordre au sein de l’empire alors marqué par le chaos. Contrairement à Marc Antoine, Auguste tenait de bons livres comptables et publiait des comptes. Il a ainsi vécu une longue vie. Il est mort de causes naturelles ou des suites d’un empoisonnement par sa femme, ce qui n’avait sans doute rien à voir avec des écarts comptables.

L’histoire nous montre donc que les rapports financiers des gouvernements étaient importants et qu’une mauvaise comptabilité financière et de piètres rapports pouvaient même mener à des effusions de sang. Mais, la communication des informations financières par les gouvernements est-elle encore importante de nos jours?

L’Institut CD Howe est l’une des rares organisations qui a mené des recherches sur l’état des informations financières communiquées par des gouvernements d’ordres supérieurs au Canada. Chaque année, l’Institut produit une fiche d’évaluation de l’information financière publiée par chacun des gouvernements d’ordres supérieurs. Son dernier rapport s’intitule « Numbers you can trust? The Fiscal Accountability of Canada’s Senior Governments 2017 ». (Rapport disponible en anglais seulement.) Ce rapport explique que l’information financière des gouvernements joue un rôle important dans la démocratie canadienne. Ce rapport indique – et je paraphrase – que les divers ordres de gouvernement au Canada fournissent une vaste gamme de services, notamment des services de défense nationale, de police, de santé, d’éducation et de soutien du revenu. En 2016, les dépenses combinées de tous les ordres de gouvernement représentaient environ 40 % du produit intérieur brut ou PIB. Le rapport indique aussi que les gouvernements fédéraux et provinciaux sont investis d’un pouvoir juridique illimité leur permettant d’emprunter si les dépenses publiques excèdent les recettes provenant des impôts et des droits perçus. Pour ces raisons, le rapport soutient qu’il est essentiel pour toute institution démocratique de veiller à ce que les contribuables et les citoyens puissent surveiller les ressources gérées par les élus et les fonctionnaires, exercer une influence à cet égard et réagir.

Enfin, selon le rapport de l’Institut C.D. Howe, les états financiers audités fournissent des informations essentielles qui peuvent être comparées aux estimations des dépenses que les gouvernements ont présentées dans leurs budgets au début de l’exercice. C’est donc dire que la mesure dans laquelle les états financiers d’un gouvernement donnent une image fidèle de ses actions et la facilité avec laquelle les utilisateurs trouvent et interprètent ces informations sont d’une importance vitale.

Je crois que j’ai bien prouvé l’importance de l’information financière des gouvernements par des exemples historiques et contemporains.

Les états financiers des gouvernements sont-ils fiables?

Je vais maintenant parler de la deuxième qualité de l’information financière et examiner si les états financiers des gouvernements sont fiables.

Voici un exemple tiré de ma propre expérience :

Au cours des années 1980 et 1990, les états financiers des gouvernements suscitaient souvent des combats politiques. Tout comme Cicéron l’a fait dans la Rome antique, les partis d’opposition dans les années 1980 et 1990 accusaient régulièrement les gouvernements de comptabilité douteuse et contestaient les résultats publiés. Bon nombre de leurs plaintes étaient justifiées – même si on ne rapporte aucun bain de sang.

Il faut toutefois se rappeler qu’au tout début des années 1980, les états financiers des gouvernements n’étaient assujettis à aucune norme comptable et que, même après la création du Conseil sur la comptabilité et la vérification dans le secteur public de l’époque, il a fallu des années avant d’établir un ensemble de normes qui traitait des sujets les plus problématiques. À savoir : Que faut-il inclure dans le périmètre comptable? Comment comptabiliser les immobilisations corporelles? Les prêts qu’un gouvernement rembourse essentiellement lui-même sont-ils vraiment des actifs? Et comment comptabiliser les entreprises du gouvernement, c’est-à-dire les entités qui font des profits?

Les accusations de comptabilité en trompe-l’œil si communes il y a vingt ou trente ans n’ont pas seulement entaché la réputation des gouvernements, mais aussi celle des auditeurs des états financiers de ces gouvernements. Lors des campagnes électorales, les partis d’opposition promettaient que, s’ils étaient élus, ils recruteraient un auditeur indépendant pour examiner les livres comptables du gouvernement – une remise en question directe, même si elle n’était pas nécessairement intentionnelle, de la compétence des vérificateurs généraux de l’époque. Ce n’est que bien des années plus tard que les gouvernements sont arrivés à un point où, selon les dires d’un politicien de la Nouvelle-Écosse – nous pouvons arrêter de débattre les chiffres et nous attarder à leur signification.

Nous vivons aujourd’hui dans un monde où, par exemple, pour le 19e exercice de suite, nous avons exprimé une opinion non modifiée sur les états financiers qui ont été publiés récemment, sans tambour ni trompette, par le gouvernement du Canada. Vu l’ensemble très rigoureux de normes comptables qui existe aujourd’hui au Canada pour le secteur public, tous les gouvernements d’ordres supérieurs devraient être en mesure de produire un jeu d’états financiers donnant lieu à l’expression d’un rapport d’audit non modifié. Il pourrait y avoir une exception possible : lorsqu’un gouvernement met en œuvre une nouvelle norme comptable complexe dont l’application pourrait prendre du temps. Mais même dans ces cas de figure, les Conseil sur la comptabilité dans le secteur publicCCSP prévoient normalement des périodes de transition généreuses afin que les opinions d’audit modifiées soient très rares. Donc, le plus souvent, nous fonctionnons dans un monde où les états financiers des gouvernements reçoivent des opinions d’audit non modifiées.

À quelques exceptions près.

Ainsi, il est troublant de constater que trois provinces importantes ont décidé de ne pas appliquer les principes comptables généralement reconnus à certaines de leurs opérations et que leurs états financiers résumés ont donc donné lieu à des opinions d’audit modifiées. Les trois provinces concernées sont bien sûr la Colombie-Britannique, l’Ontario et le Québec – même si dans le cas du Québec, je fais référence aux états financiers de 2016, puisque la province n’a pas encore publié ses états financiers de 2017. Cependant, lorsque les administrations publiques respectent toutes les règles comptables et qu’une opinion d’audit non modifiée est exprimée, les chiffres deviennent difficilement contestables. Malheureusement, cela veut aussi dire que moins de personnes examinent les chiffres en vue de déterminer leur signification.

J’estime donc que pour beaucoup de gouvernements d’ordres supérieurs du Canada – avec quelques exceptions notables, l’Ontario étant le cas le plus inquiétant aujourd’hui – je peux affirmer que les états financiers des gouvernements sont fiables – ce qui n’était pas le cas au début de ma carrière dans l’administration publique – et que le peu d’intérêt qu’ils suscitent aujourd’hui pourrait vouloir dire qu’ils sont désormais victimes de leur propre succès.

Les états financiers d’un gouvernement sont-ils utiles?

Si les informations financières présentées par les gouvernements sont importantes et si les états financiers de nombreux gouvernements sont fiables, par conséquent la réponse à la toute dernière question « sont-ils utiles? » ne devrait pas nous plaire!

Pour être utiles, les états financiers doivent présenter un nombre suffisant, mais pas excessif, d’informations de qualité qui peuvent être comprises par un utilisateur. De plus, les informations doivent être disponibles lorsque l’utilisateur en a besoin. Examinons d’abord ce dernier point, à savoir la rapidité avec laquelle les états financiers des gouvernements sont mis à la disposition des utilisateurs.

Au Canada, l’exercice financier du gouvernement fédéral et de tous ses homologues provinciaux et territoriaux se termine le 31 mars. En examinant les dates de dépôt des états financiers des gouvernements de 2016 – j’ai choisi cette année parce que tous les gouvernements n’ont pas encore déposé leurs états financiers pour 2017 – nous avons constaté que l’Alberta avait présenté ses états financiers audités de 2016 à la fin du mois de juin 2016, soit trois mois après la clôture de l’exercice. La Saskatchewan et la Colombie-Britannique ont toutes deux déposé leurs états financiers en juillet. Et les trois administrations les plus importantes du pays, le gouvernement fédéral, l’Ontario et le Québec ont déposé leurs états financiers en octobre, soit plus de six mois après la clôture de l’exercice. L’Île-du-Prince-Édouard a été la dernière province à déposer ses états financiers de 2016. C’était en décembre.

Nous savons tous qu’il faut beaucoup d’efforts pour établir et auditer les états financiers d’un gouvernement d’un ordre supérieur, alors la plupart de ces dates nous semblent raisonnables. Mais j’ai examiné les états financiers de l’exercice clos le 31 décembre 2016 de la société Exxon Mobile. De 2012 à 2016, les revenus d’Exxon ont oscillé entre 451 et 219 milliards de dollars, ce qui se situe dans la même fourchette de revenu que le gouvernement du Canada, qui a présenté des recettes de 293 milliards de dollars pour l’exercice clos le 31 mars 2017. Le rapport de gestion d’Exxon contenait environ sept pages qui expliquaient les estimations essentielles de la direction et le degré d’incertitude de mesure qui avait influé sur le traitement comptable appliqué. La direction a dû établir des estimations dans des secteurs complexes comme les réserves de pétrole et de gaz naturel, la dépréciation, les obligations liées à la mise hors service d’immobilisations, les coûts au titre de forages d’exploration suspendus et les éventualités fiscales. Il ne faut pas non plus oublier que les utilisateurs se fient à l’information financière de la société pour prendre des décisions d’investissement. En dépit de tous ces facteurs, le rapport d’audit d’Exxon sur les états financiers de l’exercice clos le 31 décembre 2016 est daté du 22 février 2017, donc moins de deux mois après la clôture de l’exercice.

La société, comme toutes les sociétés cotées en bourse, a dû concilier précision et rapidité, en accordant la priorité à la rapidité. Donc, une des raisons pour laquelle les états financiers des gouvernements ne suscitent pas l’attention qu’ils devraient, c’est peut-être que dans la plupart des cas, ils ne se pas publiés assez rapidement, même si nous croyons le contraire. Au niveau fédéral, si les états financiers audités pouvaient être déposés à la mi-juin – avant la pause estivale du Parlement – ils seraient ainsi disponibles alors que l’exercice précédent est encore important.

Bon, je viens sans doute de provoquer des spasmes chez tous ceux ici présents qui travaillent au sein du gouvernement fédéral – y compris au Bureau du vérificateur général. Ne vous inquiétez pas, je ne pense pas que cela va se réaliser. Mais je suis d’avis que l’information financière historique devient très vite périmée et que la plupart des gouvernements publient leurs états financiers trop tard. Au moment où ils les publient, l’exercice considéré est déjà oublié.

Si les états financiers des gouvernements ne sont pas publiés rapidement, personne n’en parle, sauf dans les cas très graves. C’est probablement parce que les parlementaires ne savent pas quand des états financiers devraient être publiés. La plupart n’ont aucun point de comparaison. Donc peu de parlementaires, s’il y en a, se plaignent que les états financiers sont publiés trop tard. Par contre, cela ne veut pas dire que les états financiers ont été publiés dans un délai raisonnable. Or, si les états financiers ne sont pas publiés assez rapidement, cela pourrait expliquer pourquoi on en fait peu de cas. Une information qui n’est pas actuelle est inutile.

Qu’en est-il des informations financières elles-mêmes? Tous les chiffres et mots qui sont communiqués dans des états financiers sont-ils utiles? Selon le rapport de l’Institut C.D. Howe que j’ai mentionné précédemment, les états financiers des gouvernements contiendraient des informations utiles.

C’est une bonne nouvelle.

Le rapport mentionne expressément l’état des résultats et l’état de la situation financière. Les états financiers des gouvernements contiennent donc des informations utiles, même s’ils ne sont pas publiés rapidement. Nous découvrons donc la vraie raison pour laquelle les états ne suscitent pas beaucoup d’attention.

Ils font peur aux lecteurs.

Je ne parle pas ici des lecteurs comme les agences de notation des obligations.

D’un côté, des informations financières détaillées et étoffées ne font pas peur aux quelques utilisateurs avertis qui existent encore, mais de l’autre ces utilisateurs ne se fient pas beaucoup aux états financiers, puisqu’ils peuvent obtenir les informations dont ils ont besoin grâce à d’autres moyens. Ce sont les lecteurs moins avertis qui ont peur, ce qui comprend probablement la majorité des parlementaires. Ils se heurtent à un mur chargé de chiffres et de mots, à un document rédigé en langage technique, généralement à la forme passive, et ils ne savent pas comment l’interpréter ni quelles questions poser. Ils craignent donc probablement de poser des questions sur les états financiers de peur de révéler au grand jour qu’ils ne comprennent pas l’information qu’ils lisent. Par exemple, qui comprend vraiment le sens d’un état des flux de trésorerie d’un gouvernement?

Qu’est-ce que cet état nous révèle vraiment?

Il va sans dire qu’un état des flux de trésorerie établi selon la méthode indirecte dont la dernière ligne présente le montant de la trésorerie et des équivalents de trésorerie d’un gouvernement à la clôture de l’exercice est – sans mâcher mes mots – plutôt inutile. Disons, par exemple, que le gouvernement fédéral a une dette nette de plus de 714 milliards de dollars – quelle est donc la pertinence d’un état qui montre l’évolution de la situation de trésorerie du gouvernement au cours de l’exercice? Je ne pense pas qu’il existe un seul décideur même au sein d’un gouvernement qui affirmerait utiliser cet état. J’avais espéré que le recours à la méthode directe pour établir l’état des flux de trésorerie réglerait ce problème, mais le peu d’états que j’ai vus n’a rien fait pour dissiper ma confusion. Il serait possible de sauver l’état des flux de trésorerie en le remaniant de manière à mettre l’accent sur la situation d’endettement du gouvernement : c’est-à-dire en mettant l’accent sur les emprunts du gouvernement et les raisons qui sous-tendent ces emprunts. Mais même cela pourrait être difficile à comprendre et si tel est le cas, il faudrait, à mon avis, supprimer l’état des flux de trésorerie des états financiers à présenter.

Le CCSP devrait assouplir ses normes afin de permettre aux gouvernements et aux organisations publiques de mettre à l’essai de nouvelles manières de présenter de l’information sur leurs flux de trésorerie. Si l’état des flux de trésorerie contient un mur de chiffres pratiquement indéchiffrable pour le lecteur, beaucoup de notes afférentes aux états financiers constituent quant à elle des murs de mots pratiquement incompréhensibles. Ainsi, je pense que les informations contenues dans les états financiers de beaucoup de gouvernements décevraient un lecteur qui voudrait comprendre les passifs éventuels d’un gouvernement. Je crois que tous les gouvernements pourraient rendre plus lisibles un grand nombre de notes afférentes à leurs états financiers. Et, en général, j’estime que le rapport de gestion qui accompagne les états financiers d’un gouvernement ne fournit habituellement qu’une aide négligeable aux lecteurs. Par exemple, le ratio de la dette nette au PIB est un indicateur reconnu pour mesurer la situation financière d’un gouvernement qui est publié dans les rapports de gestion de nombreux gouvernements. Or, il y a plusieurs façons de définir la dette dans ce calcul. Et personne n’a jamais été en mesure de donner le ratio de la dette au PIB qui serait idéal pour un gouvernement.

Faute d’une vraie cible et d’explications pour justifier le choix de cette cible, les ratios n’aident pas beaucoup le lecteur à comprendre la situation financière d’un gouvernement. De fait, le ratio de la dette au PIB peut semer la confusion dans l’esprit des lecteurs, parce qu’il peut s’améliorer au cours d’une année où un gouvernement enregistre un déficit. Les états financiers envoient donc des messages contradictoires au lecteur. Celui-ci présume qu’un déficit n’est pas une bonne chose, alors qu’une amélioration du ratio de la dette au PIB est une bonne nouvelle.

À la lecture du rapport de gestion du gouvernement fédéral, j’ai recensé au moins cinq façons de calculer le ratio de la dette au PIB qui différaient en fonction de la définition de la dette utilisée. C’est donc dire que différents analystes peuvent utiliser des ratios différents qui sont tous exacts, mais qui donnent des résultats différents.

Cela sème la confusion chez les lecteurs.

Le gouvernement fédéral pourrait utiliser le rapport de gestion pour aider les citoyens à comprendre ce que représente chacun de ces ratios et les liens qui existent entre eux. Après tout, le ratio de la dette au PIB est un ratio financier clé qui est calculé directement à partir des données contenues dans les états financiers. Le rapport de gestion du gouvernement fédéral présente en toutes lettres quatre indicateurs pour mesurer le ratio de la dette au PIB et il est possible de calculer le cinquième.

Les quatre indicateurs, en ordre croissant, sont :

Le premier ratio est établi par le Fonds monétaire international ou le FMI. Il correspond au ratio de la dette nette au PIB de l’ensemble des administrations publiques du Canada – pas seulement le gouvernement fédéral – et totalise environ 28 %. Ceux qui travaillent dans le secteur savent que ce chiffre semble beaucoup trop faible. Dans son calcul, le FMI utilise un montant de la dette qui comprend – je vous demande un peu de patience – la dette nette de tous les ordres de gouvernement, mais exclut les passifs au titre des régimes de retraite publics des fonctionnaires et retranche la valeur des actifs du Régime de pensions du Canada et du Régime de rentes du Québec. Le FMI procède ainsi pour obtenir des résultats comparables entre les pays du G7. Cela veut cependant dire que le pourcentage absolu de 28 % ne reflète pas vraiment la dette du Canada.

Le deuxième indicateur du ratio de la dette au PIB utilisé est le déficit accumulé du gouvernement au PIB, qui avoisine 31 %. Le troisième correspond à la dette nette du gouvernement fédéral au PIB, qui est d’environ 35 %. Et le quatrième est la dette portant intérêt au PIB, qui s’élève à près de 48 %.

Le rapport de gestion ne présente pas le cinquième ratio – ratio du total des passifs au PIB, mais nous pouvons le calculer et il avoisine 54 %.

Il y a donc cinq ratios de la dette au PIB qui sont présentés, en fonction de la définition de la dette retenue. Or, ces nuances échappent à la plupart des lecteurs. Ils entendent simplement divers analystes discuter de certains indicateurs de la dette aux PIB qui oscillent entre 28 % et 54 %, presque le double. Et ils ne savent plus qui croire. Ce n’est qu’un exemple démontrant que même les analyses financières ne permettent pas aux lecteurs qui ne sont pas des experts de comprendre l’information financière. J’ai pris le gouvernement fédéral comme exemple parce que c’est celui que je connais le mieux. Je suis cependant convaincu qu’il y a des problèmes similaires dans les rapports de gestion publiés par d’autres gouvernements canadiens.

Les lecteurs sont souvent dépassés par les chiffres présentés dans les états financiers et si nous voulons qu’ils les comprennent, nous devons mieux les expliquer. À mon avis, c’est la principale raison pour laquelle les états financiers ne sont pas utilisés : ils sont trop difficiles à comprendre, sauf s’il s’agit simplement de déterminer si le gouvernement a enregistré un excédent ou un déficit.

Pour résumer les réponses aux trois questions que j’ai posées au début de ma présentation, je peux dire que les états financiers des administrations publiques sont importants et qu’ils peuvent faire une différence. Ils sont aussi, dans la plupart des cas, fiables. Mais même s’ils sont fondamentalement utiles, ils ne peuvent pas vraiment être utilisés.

Maintenant que j’ai répondu aux trois questions posées, je vais résumer les enseignements que j’ai tirés lors de la préparation de cette présentation.

Premièrement, nous devrions être fiers du fait que les gouvernements canadiens aient renforcé la rigueur et la fiabilité de leurs états financiers. Comme l’a déclaré récemment un membre de l’Opposition siégeant au Comité des comptes publics de la Chambre des communes, nous devrions nous réjouir qu’une opinion d’audit non modifiée ait été exprimée sur les états financiers du gouvernement fédéral pour le 19e exercice de suite. Toutefois, les gouvernements ne devraient pas choisir de ne pas appliquer certaines normes comptables pour le secteur public. C’est inacceptable que trois provinces acceptent des opinions d’audit modifiées. De même, c’est grâce au CCSP si le Canada dispose de normes comptables pour le secteur public si rigoureuses. Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont fait du bon travail depuis la création du Conseil, sous la direction de John Kelly, Ron Salole, Tim Beauchamp et aujourd’hui Michael, et je souligne le travail accompli par tout le personnel du CCSP. Le CCSP s’est donné pour mission d’instaurer un ensemble de normes comptables destinées expressément aux administrations publiques canadiennes – et il y aura consacré des années d’effort.

De plus, les gouvernements doivent améliorer l’accessibilité de leurs informations financières.

Ils devraient examiner les notes afférentes à leurs états financiers afin de déterminer si elles ont été rédigées simplement en vue de respecter les normes ou si elles donnent des renseignements qui sont vraiment compréhensibles.

Ils doivent aussi examiner leur rapport de gestion pour déterminer s’il est utile et aide vraiment les lecteurs à comprendre ce que veulent dire les chiffres.

Enfin, je tiens à ajouter deux choses. Si j’avais mon mot à dire, je voudrais que les gouvernements et les auditeurs collaborent à l’établissement d’états financiers qui seraient présentés à la mi-juin de chaque année et je voudrais que le CCSP réévalue attentivement l’utilité de l’état des flux de trésorerie.

Je vous remercie de votre attention.