L'innovation dans l'administration fédérale : les risques qu'on ne prend pas

Historique

I. Définitions

II. Contexte

III. Entraves à l'innovation et à la prise de risques dans l'administration fédérale

IV. Stratégies possibles en vue d'une plus grande innovation et prise de risques : sommaire

Conclusion

Forum des politiques publiques

Document de travail

Préparé par le Forum des politiques publiques comme document d'information pour une table ronde qui sera organisée au nom du Bureau du vérificateur général du Canada

[traduction]« La version idéale d’un effectif habilité est un effectif composé de travailleurs énergiques et dévoués qui saisissent toujours les possibilités qui se présentent (mais uniquement s’il y a lieu de le faire), qui aiment prendre des risques (mais jamais de risques "trop risqués"), qui communiquent leurs idées (mais seulement les plus brillantes), qui règlent eux-mêmes leurs problèmes (mais ne font pas d’erreurs), qui n’ont pas peur de dire ce qu’ils pensent (mais sans froisser personne), qui font toujours de leur mieux (mais ne posent pas de questions embarrassantes sur ce que l’organisation leur donne en retour). Qu’il serait agréable… d’habiliter des travailleurs sans leur donner de pouvoirs. » Note de bas de page1


Août 1998


[traduction]« De 1875 et jusqu'aux années 1930, l'innovation sociale s'est manifestée par la création de nouvelles institutions publiques... Les 20 ou 30 prochaines années seront très différentes. Le besoin d'innover sur le plan social sera encore plus grand, mais l'innovation devra s'inscrire en grande partie dans le cadre actuel des institutions publiques. La mise en place d'une gestion entrepreneuriale sera la tâche politique la plus importante de cette génération. »Note de bas de page2

En 1985, Peter Drucker annonçait que le secteur public devrait démontrer un plus grand esprit d'entreprise et d'innovation, et prévoyait les difficultés que cela poserait. Comme Drucker l'a expliqué, l'innovation n'est pas un nouveau concept gouvernemental. Traditionnellement toutefois, la décision d'innover — dans le secteur des politiques, des programmes ou des structures — était prise par l'ensemble du système. Ce qui est nouveau, c'est que chaque fonctionnaire doit adopter une approche novatrice pour faire son travail.

Historique

En 1989, le chef de la fonction publique du Canada a procédé au lancement d’un important projet d’évaluation interne et de renouvellement de l’administration publique, intitulé FP 2000. Un des objectifs de l'exercice était de créer un changement de culture propre à favoriser l'esprit d'initiative et à convaincre les fonctionnaires de mettre l'accent sur l'excellence du service plutôt que de s'en tenir strictement aux lois et aux règlements.

Les grands espoirs soulevés à l'époque n'ont pas été comblés. Les cadres supérieurs, aux niveaux politique et bureaucratique, qui avaient espéré que l'innovation aurait amélioré l'efficience et la productivité, sont déçus des faibles résultats. De même, les fonctionnaires qui croyaient que leurs idées et leur travail seraient plus valorisés sont frustrés devant le peu de changements qui sont survenus.

Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu d'innovation au sein de l’administration fédérale au cours de la décennie, soit depuis le début du projet FP 2000. Les exemples, petits et grands, abondent, comme en témoignent les programmes de « récompense et de reconnaissance » dans divers ministères et dans des organisations comme l'Institut d’administration publique du Canada. Toutefois, ces exemples semblent être l'exception à la règle : on les remarque parce qu'ils sont rares.

Voici donc le contexte dans lequel le Forum des politiques publiques, au nom du Bureau du vérificateur général du Canada, entreprend d'examiner les concepts d'innovation et de prise de risques dans l’administration fédérale. Le présent document a été préparé pour établir le contexte d'une table ronde visant à reconnaître les facteurs qui entravent l'innovation dans le secteur public, et les stratégies qui pourraient réduire ou éliminer ces facteurs. Il se veut également le reflet de la documentation actuelle sur le sujet. En préparant ce document, nous nous sommes attardés aux fonctionnaires et aux facteurs qui, à leur avis, ont une incidence négative ou positive sur l'innovation et la prise de risques.

Le présent document est divisé en quatre parties. La première partie présente une définition des termes liés à l'innovation et à la prise de risques de façon à éclaircir les bases de nos commentaires. La seconde partie décrit le contexte au moyen d’une brève description de l'évolution de l’administration publique depuis les deux dernières décennies et du climat politique actuel. Les facteurs qui ont une incidence négative sur l'innovation et la prise de risques seront décrits dans la partie suivante. Enfin, nous proposerons certaines approches visant à améliorer l'innovation et la prise de risques que pourrait envisager le gouvernement fédéral.

I. Définitions

Parmi les termes utilisés dans notre document, notons les suivants : innovation, habilitation, risque, prise de risques, aversion pour le risque et gestion du risque. Pour faciliter les discussions, voici des définitions qui aideront à préciser la façon dont ces concepts sont utilisés et leur signification dans un contexte gouvernemental.

Innovation
L’introduction d'une nouveauté : une idée, une activité, une initiative, une structure, un programme ou une politique.
Habilitation
Elle prend généralement deux formes : 1) rechercher activement la participation des cadres hiérarchiques et des employés aux décisions prises dans leur secteur d'activité; 2) permettre aux cadres hiérarchiques et aux employés de prendre plus de décisions fondées sur leur propre jugement et leur compréhension du rôle et de la mission de leur organisation. Les autorités centrales du gouvernement ont tenté de promouvoir l'habilitation en remplaçant les règlements par des cadres stratégiques pour la prise de décisions. Cette notion « d'habilitation » englobe le partage d'information, le travail d'équipe, la formation et le perfectionnement.
Risque
L'incertitude soulevée par l'exposition à des dommages ou à des pertes probables. Le risque comporte deux éléments : 1) la probabilité qu’un événement se produise; 2) le degré relatif de gravité des conséquences, si l’événement se produit.
Prise de risques
La décision de mettre en oeuvre une initiative qui comporte une part plus ou moins prévisible de résultats défavorables. Cette décision repose sur la possibilité que les inconvénients puissent être réduits ou que les avantages outrepasseront les inconvénients.
Aversion pour le risque
Une attitude qui vise à éviter la plupart des situations ou toutes celles qui présentent une part de résultats défavorables.
Gestion du risque
Une méthode logique et systématique pour reconnaître, analyser, évaluer, traiter, encadrer et faire connaître les risques associés à tout processus, à toute activité ou fonction, d'une façon qui permet aux organisations de réduire au minimum les pertes et de maximiser les possibilités.

II. Contexte

A) Une brève histoire de l'évolution de l’administration publique et de la naissance de l'innovation

La révolution de l’administration publique, mise en oeuvre par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne en 1979, s'est rapidement propagée à la plupart des démocraties occidentales. Les changements visaient à atteindre trois objectifs. Le premier était de réduire l'influence de la fonction publique et de la rendre plus réceptive aux orientations politiques. Le deuxième consistait à appliquer à la fonction publique des méthodes de gestion du secteur privé, afin d'améliorer l'économie et l'efficience au sein du gouvernement. Le troisième était de s'assurer que la conception et la prestation des services de la fonction publique répondent mieux aux besoins des citoyens. Dans les décennies suivantes, cette approche a été adoptée par les gouvernements de la plupart des pays occidentaux qui souhaitaient une réforme de la politique et de l’administrat ion publique Note de bas de page3.

En outre, trois facteurs déterminants ont influencé l'orientation de la réforme de la fonction publique. Le plus évident est la priorité accordée à la réduction des dépenses publiques dans la plupart des démocraties occidentales, bien que les niveaux d’endettement et des déficits varient. Ensuite, la baisse de confiance dans le gouvernement, dans les pays développés, entraîne une demande pour un gouvernement meilleur, « moins coûteux et plus efficace » Note de bas de page4. Enfin, la politique et l’administration publiques sont considérées comme des éléments importants de la prospérité économique nationale dans cette nouvelle ère de concurrence à l'échelle mondiale Note de bas de page5.

Ces changements apportés à la place et à l'orientation de l’administration publique ont transformé la bureaucratie structurée, hiérarchique, spécialisée, impersonnelle et axée sur les procédures en une bureaucratie plus entrepreneuriale, uniforme, ouverte, souple, axée sur la clientèle et sur les résultats. Aucoin ajoute :

[traduction]« […] bien que la bureaucratie soit nécessaire pour assurer un niveau minimal de bonne gestion dans le secteur public, le rendement supérieur exige quelque chose de plus. » Note de bas de page6

La nouvelle approche axée sur ce « quelque chose de plus » a pris forme dans la fonction publique pour les mêmes raisons que dans le secteur privé, c'est-à-dire l'attention accrue accordée aux résultats, au rendement et aux extrants. Modelée en grande partie sur les méthodes de gestion du secteur privé, elle en retient les caractéristiques les plus importantes : une plus grande souplesse pour améliorer la réceptivité, et la priorité accordée à la gestion des ressources humaines, aux ressources et aux programmes plutôt qu'à l'administration d’activités, aux procédures et aux règlements. Tout comme dans le secteur privé, le corollaire naturel au besoin de souplesse et d'attention accordée aux clients et aux résultats est la notion d'innovation et de prise de risques en tant qu’habileté de base des fonctionnaires, c'est-à-dire les gestionnaires et les employés.

C'est en 1989 que le chef de la fonction publique du Canada a lancé FP 2000, son principal projet visant à évaluer et à renouveler la fonction publique et l’administration publique. Parmi les « principes fondamentaux du renouvellement » proposés par FP 2000, notons une série de principes de gestion qui prévoyaient particulièrement l'innovation. Le premier principe se lisait comme suit :

« Dans un cadre législatif délimité par le Parlement, et selon l’orientation établie par les ministres, les fonctionnaires seront encouragés et habilités à utiliser leurs énergies créatrices pour décider au mieux de l’utilisation des ressources dont ils disposent afin de se décharger de leurs responsabilités de la façon la plus efficace. » Note de bas de page7

Les autres principes traitent de la délégation du pouvoir de décision, des primes à l'innovation qui permettent d’augmenter la productivité, et de la recherche et du perfectionnement pour soutenir l'innovation. Un grand nombre d'initiatives ont été mises en oeuvre pour appliquer ces principes, notamment la délégation de pouvoirs en matière de finances et de ressources humaines et la création de programmes de récompense et de reconnaissance pour les employés performants. Toutefois, ni les gestionnaires ni les employés n’ont encore atteint un degré suffisant d'innovation et de prise de risques responsable. Il importe de faire enquête sur les entraves à reconnaître l'innovation comme indice du bon rendement de l’administration gouvernementale.

B) Les conditions environnementales actuelles

Avant de discuter plus en détail des contraintes liées à l'innovation, il serait utile d'examiner brièvement certains des éléments importants des conditions dans lesquelles vivent et travaillent les gestionnaires publics et les employés, et qui ont une incidence sur leur approche envers l'innovation, entre autres choses.

Tout d'abord, l’environnement du gestionnaire de la fonction publique est soumis à des changements permanents et fondamentaux. L'instabilité économique, les révolutions technologiques, le déplacement des populations et la concurrence à l'échelle mondiale ont des effets importants sur la politique et l’administration publiques. En conséquence, il devient plus difficile d'établir une politique nationale. En fait, l'impact des programmes gouvernementaux ne se limite généralement pas à un seul secteur des politiques. La coordination au niveau national et international est essentielle à une bonne régie des affaires publiques et à la santé de la société. Les cadres supérieurs de la fonction publique doivent avoir les habiletés nécessaires pour évaluer l'impact des politiques d'une façon holistique, et non pas seulement en fonction de leur champ de responsabilité. Par ailleurs, les modifications apportées à la composition des effectifs et l'incidence des changements technologiques sur le travail exigent que les gestionnaires de la fonction publique adoptent de nouvelles approches de gestion et développent de nouvelles habiletés pour continuer à gérer comme il se doit.

Le deuxième facteur est la baisse de confiance du public dans le gouvernement. Dans de nombreux pays, les gens n'ont plus de respect pour la fonction publique parce qu'ils ont le sentiment que les politiques passées ont été inefficaces, et que les gouvernements sont incapables de résoudre les problèmes économiques et sociaux importants. De plus, le « dénigrement » de la bureaucratie par les politiciens et les médias a érodé la confiance du public envers le secteur public. Ces deux éléments affectent la fonction publique de plusieurs façons : selon un grand nombre d’observateurs de la fonction publique, la critique constante dont elle fait l'objet a une incidence fortement négative sur le moral et la productivité des fonctionnaires; puis, l’exigence d’une plus grande transparence et de meilleurs résultats a entraîné l'adoption de nouvelles méthodes de redd ition de comptes axées sur les extrants et sur les résultats — un défi de taille lorsqu'il s'agit de mesurer les résultats des politiques ou des programmes qui subissent l’influence de facteurs qui dépassent le contexte gouvernemental. De même, les relations entre les ministres et les fonctionnaires souffrent de la portée toujours plus grande des mandats des organismes parlementaires de vérification, qui doivent s'assurer que la fonction publique respecte la volonté du Parlement au moment de la mise en application des politiques, et la confiance entre les deux paliers de gouvernement a diminué.

Un troisième élément d'importance capitale est le caractère permanent des compressions budgétaires associées aux demandes croissantes des citoyens qui veulent davantage de programmes et de services. Dans ce contexte, l'innovation est particulièrement importante lorsque les fonctionnaires doivent trouver des solutions moins onéreuses aux questions de politique, et des façons plus efficientes et efficaces d’assurer la prestation des programmes. C'est en ces occasions que l'absence d'innovation est particulièrement frustrante, tant pour les politiciens que pour les hauts fonctionnaires.

Voici donc le cadre dans lequel la demande d'innovation et de prise de risques accrues dans l’administration gouvernementale a évolué. Dans la prochaine section, nous analyserons plus en détail la façon dont ces événements ont évolué, et leur incidence sur les fonctionnaires et sur leur approche de l'innovation.

III. Entraves à l'innovation et à la prise de risques dans l'administration fédérale

Reddition de comptes — ou blâme?

Par le passé, en vertu du Système de Westminster, le ministre a généralement été tenu responsable de « l'erreur » commise par son ministère. Toutefois, malgré cette pratique traditionnelle, les politiciens exigent depuis plus d’une décennie, plus de comptes des fonctionnaires. Dès 1985, un comité spécial sur la réforme de la Chambre des communes a déclaré de façon catégorique :

[traduction] « L'idée qu'un ministre soit tenu entièrement responsable des activités d’un ministère n'est plus réaliste. Il ne peut être au courant de tout ce qui se passe dans son ministère. La doctrine de la responsabilité ministérielle est une entrave à la responsabilité véritable d'une personne qui se doit d'être responsable — le haut fonctionnaire [...] du ministère. » Note de bas de page8

En 1990, la question de la reddition de comptes dans le système canadien a été modifiée dans plusieurs ministères, notamment par la création de comités parlementaires dotés de plus de pouvoirs, par l’adoption de la Loi sur l'accès à l'information, par la mise en place d’un nombre accru d'organismes parlementaires de surveillance, par un plus grand contrôle exercé sur les pouvoirs exécutifs et administratifs par des tribunaux, et par la promulgation de la Charte des droits et libertés. [traduction] « Tout cela », nous dit Aucoin, « a contribué à rendre la fonction publique beaucoup moins anonyme et plus étroitement contrôlée, si on compare à ce qu'était la norme canadienne. » Note de bas de page9

Il s'est produit une « confusion » Note de bas de page10, comme le décrit Aucoin avec délicatesse, quant au degré de responsabilité des ministres et des sous-ministres. D'autres ont été plus sévères. Aucoin cite un article de Sharon Sutherland sur l'affaire Al-Mashat. Le gouvernement a tenu publiquement responsables un fonctionnaire et un attaché politique d'un incident particulier, et les a soumis à l’enquête d'une commission parlementaire.

[traduction] « Le compte rendu incisif de Sutherland sur cette affaire a montré la contradiction inhérente entre la responsabilité ministérielle et la reddition de comptes directe de la fonction publique devant le Parlement. Dans ce cas, le processus politique a empêché ces deux représentants officiels d'invoquer les principes de justice naturelle à cause de leur devoir de respecter la confidentialité ministérielle. De ce fait, ils n'ont pu "témoigner pour leur propre défense". Cela permet également aux ministres d'échapper à leur responsabilité personnelle. Comme le souligne Sutherland : "On créé l'impression que l'obligation redditionnelle sera dévolue au plus haut fonctionnaire qui n'aura malheureusement pas assisté à cette réunion". » Note de bas de page11

D'une façon très générale, pointer du doigt fait partie de la culture des démocraties occidentales. Gilles Paquet considère que cette « notion de blâme » est le reflet de notre approche judiciaire. Concernant les commissions qui enquêtent sur de présumées malversations, il déclare que :

[traduction] « La principale raison pour laquelle les commissions d’enquête judiciaire dirigées d’une perspective juridique n’ont pas produit de résultats satisfaisants est la tendance qu’ont ces organismes à se laisser hypnotiser par des experts de l’interrogation et de la punition. Ces personnes ne sont pas formées pour analyser ni réellement préparées pour régler les problèmes d’institutions qui fonctionnent mal ou de systèmes administratifs boiteux. Du fait de leur vision légaliste limitée, les notions du fardeau administratif, de reddition de comptes et d’éthique sont redéfinies de façon imparfaite et réductrice. À leurs yeux, l’erreur n’est pas source d’apprentissage mais source de blâme et elle exige une sanction. » Note de bas de page12

Les mauvais traitements infligés à un sous-ministre par une commission parlementaire en 1987, l'affaire Al-Mashat en 1990, les audiences du Sénat en 1995-1996 concernant la cession de l'aéroport Pearson et, plus récemment, l'enquête sur la Somalie et l'enquête Krever, sont des exemples d'une série d'événements qui continuent à perpétuer l'impression d'une « chasse aux sorcières » au sein de la fonction publique. Le professeur Thomas déclare que :

« La pratique qui consiste à blâmer les fonctionnaires pour les erreurs et manquements, résultats du processus politique ou des contraintes établies par les règles et les procédures internes, devra être atténuée si nous attendons des gestionnaires publics qu’ils affrontent les incertitudes et les risques engendrés par le changement. » Note de bas de page13

Donald Kettl ajoute que :

[traduction]« Aucun système ne peut demander aux gestionnaires à la fois d'exercer plus de pouvoirs discrétionnaires et de prendre davantage de risques, sans créer des incitatifs politiques pour soutenir leurs décisions — et sans éliminer les critiques sévères dont ils font l'objet pour les risques qu'ils prennent. » Note de bas de page14

Bien que les fonctionnaires ne s'imaginent pas nécessairement qu’ils feront face à une commission d'enquête pour chaque décision prise, le sentiment demeure qu'un fonctionnaire qui fait des erreurs, même sur les ordres de ses supérieurs, en paiera le gros prix Note de bas de page15.

Habilitation et transformation de l'infrastructure

FP 2000 a souligné que l'habilitation était l'un des critères essentiels à l'innovation et à la prise de risques, comme nous l'avons souligné dans une citation donnée plus tôt. On a reconnu dès le début de la réforme de la fonction publique que des modifications structurelles importantes devraient être mises en place pour habiliter les fonctionnaires à trouver de nouvelles façons d'assumer leurs responsabilités. Ce n'était pas facile à faire. La bureaucratie traditionnelle était parfaitement conçue pour transformer les objectifs politiques, souvent vagues, diversifiés et contradictoires, en des mesures administratives. Les dossiers et les normes établis dans cette structure traditionnelle permettaient d'éviter l’arbitraire et la corruption, et de protéger la responsabilité ministérielle.

Au cours des dernières années, diverses initiatives ont été mises en oeuvre pour réduire ou lever les entraves à l'habilitation, en changeant l'infrastructure : des mesures concernant les classifications d'emploi moins spécialisées, la hiérarchie horizontale, l’assouplissement des règles en matière de ressources humaines et financières, et la promotion du travail d'équipe dans l'ensemble des ministères. Les résultats de ces modifications ont été moindres que prévu, comme l'a souligné une étude effectuée en 1997 par le Forum des politiques publiques. Des consultations menées auprès dune série de groupes de réflexion portaient sur le maintien des effectifs et sur la rémunération au sein de l'organisation, de même que sur l'environnement de travail actuel. Les discussions ont permis de conclure qu'un gran d nombre de gestionnaires et d'employés d’Ottawa n'avaient pas noté de résultats positifs à la suite des modifications apportées à l'infrastructure au cours des dernières années.

[traduction] « La culture actuelle exige que "tout soit fait maintenant et que tout soit parfait". Les participants ont souligné qu'à tous les échelons de l'organisation, certaines personnes éprouvent de la frustration liée au stress causé par des questions relativement insignifiantes [...] Aujourd'hui, les cadres se sentent submergés par la "procédure", la micro-gestion courante et la nécessité de prendre les décisions en comité. » Note de bas de page16

De plus, il est à noter que les consultations tenues avec les cadres régionaux ont donné des résultats quelque peu différents.

[traduction] « Les cadres des régions croient qu'ils ont plus d'autonomie et de pouvoir sur leur environnement de travail immédiat que leurs homologues de la région de la capitale nationale. Ce fait est principalement attribué à la distance qui les sépare des sous-ministres et des ministres. De nombreux cadres des régions croient qu'il est plus facile de garder une certaine distance envers les règles et procédures d'Ottawa. » Note de bas de page17

Ces remarques semblent indiquer que l'environnement actuel dans la fonction publique n'est pas propre à créer le dynamisme et la sérénité nécessaires pour favoriser l'innovation et la prise de risques chez les gestionnaires et les employés du gouvernement.

Habilitation et bris des règles

Par ailleurs, malheureusement, quand le concept d'habilitation a été introduit pour la première fois dans la culture gouvernementale, il a parfois été vu comme conférant le droit de briser les règles. Selon Peter Aucoin :

[traduction] « On a supposé que, pour réaliser de meilleurs résultats, les fonctionnaires […] doivent être affranchis de tout contrôle, règle et conformité à une procédure. Dans la mesure où les réformateurs canadiens ont imaginé le programme [de la réforme] en fonction du pouvoir discrétionnaire et l'habilitation (ce qui, parfois, supposait que les fonctionnaires "entrepreneurs" doivent ignorer les contrôles et les procédures afin de contrer la bureaucratie), on n'est pas surpris de constater que les ministres et les députés ont été des partisans peu empressés de la nouvelle gestion publique. » Note de bas de page18

En effet, l'exercice de FP 2000 à ses débuts était déjà gâché par des réactions politiques, bureaucratiques et médiatiques aux initiatives qui étaient perçues comme des décisions irresponsables visant à faire fi des règles établies par les gestionnaires et le personnel au ministère des Pêches et Océans, à Santé et Bien-être Canada ainsi qu'au Groupe Communication Canada Note de bas de page19. Même si on peut prouver qu'il s'agissait plus d'incompréhension que de malveillance de la part des gestionnaires et du personnel, ainsi que de leurs critiques, l'effet de ces situations qui ont fait l'objet de discussions publiques a été d'entretenir la crainte du risque dans la culture gouvernementale.

Dans d'autres situations, on a découvert au cours des dernières années de véritable cas de mauvaise gestion des ressources, en particulier des ressources financières. Chez les cadres du gouvernement, on a l'impression que même si certaines règles ont été adoucies, à la suite de situations comme celles-là, de nouvelles règles ont été créées afin de s'assurer que les fonctionnaires se comportent bien.

[traduction]« Cette frustration croît sans cesse à mesure que l'on demande aux cadres de travailler comme on le fait dans le secteur privé tout en ne disposant pas de la souplesse nécessaire. Même si les valeurs de prudence et de probité de la fonction publique guident les actions de la majorité des cadres, le sentiment général exprimé, c'était que le gouvernement est incapable de régler efficacement le cas des quelques "pommes pourries" susceptibles de profiter du système. Au contraire, l'exception à la règle constitue une contrainte inutile à l'égard de l’effectif entier. » Note de bas de page20

Malheureusement, à une époque où la confiance du public envers le gouvernement est faible, les efforts consentis par les gestionnaires publics pour donner l'impression qu'ils exercent des contrôles garantissant que de telles situations ne se reproduiront plus sont souvent perçues comme inutiles par les fonctionnaires visés et comme une preuve supplémentaire qu’ils ne sont pas aptes à prendre les bonnes décisions.

Capacité : plus que moins

Un autre facteur qui limite l'innovation, mais qui n'est pas souvent admis, c'est la réduction de la capacité — à la fois humaine et financière — qui a découlé de la réforme de la gestion publique entreprise au cours de la dernière décennie. La vision initiale selon laquelle les gestionnaires feraient « plus avec moins » est maintenant considérée comme non applicable. Toutefois, on continue à demander aux gestionnaires de « faire du nouveau avec moins » sans leur accorder le soutien nécessaire. Quand on demande aux gestionnaires d'entreprendre des changements, souvent rapidement et sous des pressions politiques énormes, ils ne disposent ni du temps ni de l'élan pour être innovateurs. Un expert britannique déclare que :

[traduction] « La solution qui en découle, habituellement et tout naturellement, prend la forme d'un ajout "boulonné" aux ententes qui existent, et, souvent, on sous-estime énormément le degré de changement nécessaire pour amener les gens à travailler de façon différente ainsi que l'effort nécessaire pour que le changement prenne racine. » Note de bas de page21

Donald Kettl ajoute ceci :

[traduction] « Faire en sorte que les réformes soient réalisées, comme le prouve l'expérience, exige : un travail ardu et soutenu; une reconnaissance selon laquelle tout le processus ne peut pas être laissé à lui-même; un investissement important dans les ressources de gestion — dans les gens, les processus et la technologie. » Note de bas de page22

Dans l'étude du Forum, voici ce qu'un participant a déclaré :

[traduction] « On ne peut pas prendre de risques, mais vous devez le faire parce qu'il y a de moins en moins de gens qui prennent des décisions. Résultat : je suis toujours inquiet quand je me couche le soir […] » Note de bas de page23

Évidemment, la solution à ce problème n'est pas simple. Le bon vieux temps où l'on « réglait les problèmes avec de l'argent » n'est plus et les contraintes financières continueront à rendre tout amélioration de la capacité d'agir très difficile au moins à court terme. Cependant, si les leaders reconnaissaient que les questions relatives à la capacité sont un obstacle à l'innovation et à la prise de risques, cela aiderait à changer les perceptions d'une certaine façon et atténuerait la pression qui pèse sur les fonctionnaires de « faire l'impossible. »

Valeurs et éthique : il faut du temps

On considère maintenant que l'innovation et la prise de risques sont des valeurs auxquelles doivent adhérer les fonctionnaires comme le montre une étude réalisée par Kenneth Kernaghan sur les énoncés de valeurs adoptés au cours des dernières années par de nombreux organismes publics au Canada. L'auteur a constaté que les nouveaux énoncés contenaient des valeurs jamais mentionnées dans les énoncés traditionnels, comme l'innovation et la créativité, tandis que des valeurs anciennes comme la neutralité et la loyauté n'y figuraient plus. Note de bas de page24En effet, l'innovation semble entrer en contradiction avec les valeurs traditionnelles de responsabilité et de neutralité. Note de bas de page25M. Kernaghan nous prévient que de tels changements touchent à des questions d'ordre éthique et créent des dilemmes qu'il faut analyser et r&e acute;soudre.

Dans son « document de travail sur les valeurs et l'éthique dans la fonction publique », le Groupe de travail des sous-ministres sur les valeurs et l'éthique aborde certaines des raisons pour lesquelles les exercices sur « la mission et les valeurs », qui visent à transmettre et à inculquer de nouvelles valeurs, restent sans résultat. Parmi d'autres raisons, l'auteur déclare que :

« C’est dans un milieu qui y croit et qui les met en pratique tous les jours par des gestes, concrets et symboliques, que les valeurs se développent. D’où l’importance du leadership et des modèles de comportement. D’où également l’inefficacité des principes abstraits lorsque ceux-ci ne sont pas perçus comme enracinés et appliqués concrètement dans un milieu donné. » Note de bas de page26

Thomas ajoute que :

« […] il n'est sans doute pas surprenant que la plupart des initiatives lancées dans le secteur public en ce qui concerne les changements culturels ont inclus des activités symboliques, telles l'élaboration de déclarations concernant les missions et les valeurs, ainsi que le recours à des événements et à des cérémonies propres à l’organisation […] mais les études disponibles laissent entendre que les gens ne se sentent pleinement engagés par les valeurs d'une organisation que s'ils les intériorisent profondément. Un comportement simplement conscient et conforme aux déclarations de valeurs ne suffit pas à réaliser un changement en profondeur. En résumé, il n’est pas facile de modifier intentionnellement les cultures d'organisations, et le processus est susceptible d'être très lent, de durer des décennies plutôt que des anné es. » Note de bas de page27

M. Frank Swift va plus loin. Décrivant les cadres intermédiaires comme les « vecteurs de la culture » qui « jouent un rôle essentiel […] en transmettant leurs perceptions des besoins et des désirs de ceux qui travaillent sous leurs ordres à des milliers de personnes qui offrent véritablement des services au public […] », il avertit des conséquences qu'entraînent les efforts infructueux en vue de modifier la culture.

« Les concepts de la nouvelle culture ne peuvent pas être superposés à l’ancienne structure. S'il ne se produit pas une refonte authentique des valeurs du système, le progrès vers la transformation sera de courte durée et les changements proposés feront partie du système "d'incrédulité" (un système d'incrédulité définit ce que les tenants d'un ensemble de croyances doivent ignorer ou rejeter; nous nous préoccupons ici de croyance bureaucratique profondément ancrée voulant qu’en règle générale les réformes échouent et soient en effet de courte durée). » Note de bas de page28

Effectivement, selon certaines indications, les valeurs d'innovation et de prise de risques font déjà partie du système « d'incrédulité » chez les fonctionnaires. Les auteurs de l'étude du Forum écrivent ce qui suit :

[traduction] « En général, on estimait que la structure et la culture actuelles du gouvernement fédéral ne favorisent pas la prise de risques. Même si l'on admet que le fait de prendre des risques est une activité personnelle, pour ceux qui essaient d'en prendre, il doit y avoir une reconnaissance officielle indiquant que l'organisation les appuie. De nombreux cadres consultés ont constaté que l'on avait beaucoup parlé d'une nouvelle tendance du gouvernement fédéral à favoriser la prise de risques chez ses employés. Toutefois, en réalité, quand un employé commet une erreur, il est cloué au pilori. » Note de bas de page29

Il se pourrait que, dans la culture actuelle, il faille des efforts surhumains pour contrer les effets de l’incrédulité sur l’attitude des cadres et du personnel à l’endroit de la prise de risques.

Innovation : une aptitude au commandement

L’innovation n’est pas qu’une valeur à laquelle il faut adhérer; il s'agit également d'une habileté à acquérir, grâce à l'expérience, ainsi qu'aux études et à la formation. Pour la plupart des fonctionnaires, jusqu'à tout récemment, l'innovation n'était pas une habileté nécessaire. Barbara Wake Carroll affirme que les hauts fonctionnaires du gouvernement ne possèdent pas les études techniques et l'expérience opérationnelle nécessaire pour acquérir la capacité d'innover.

[traduction] « La paralysie face aux changements dans l'environnement et l'incapacité d'élaborer des solutions nouvelles ou innovatrices aux problèmes sont symptomatiques des organisations au sein desquelles les gestionnaires n'ont plus de prise sur leur environnement, leur technologie et la nature de l'organisation […] » Note de bas de page30

David Zussman et Jak Jabes soulèvent la même question dans le contexte des sondages auprès des gestionnaires dans la fonction publique du Canada :

[traduction] « On a eu tendance à récompenser les personnes qui étaient particulièrement en mesure de comprendre le système décisionnel, au détriment des experts du contenu et des gestionnaires. Selon les résultats du sondage, il semble que l'on n'ait fait très peu de cas des compétences en gestion. » Note de bas de page31

Si les cadres supérieurs du gouvernement fédéral ne possèdent pas les compétences nécessaires en matière d'innovation, comment pourront-ils aider leurs ministères à évoluer dans cette direction?

Contraintes : un résumé

Voilà donc certains des facteurs importants qui contribuent à restreindre l'innovation et la prise de risques au gouvernement fédéral. On peut dire qu'il y en deux genres. Certains facteurs rendent difficile la tâche des fonctionnaires qui souhaitent innover, par exemple, les questions relatives à la capacité, le manque de formation et la prolifération des règles. D'autres facteurs ont tendance à contribuer à entretenir une culture allergique aux risques ou à y revenir, comme la peur d'être puni pour des erreurs et le manque de compréhension quant à la façon de concilier entrepreneuriat et responsabilité démocratique. De toute évidence, certaines de ces questions seront plus faciles à aborder que d'autres, mais il faudra résoudre les deux côtés de l'équation pour que l'innovation et la prise de risques s’améliorent de fa&cc edil;on significative au gouvernement fédéral.

Il faudra des discussions supplémentaires concernant le rôle des diverses parties intéressées au chapitre du soutien amélioré de l'innovation et de la prise de risques au gouvernement. Ainsi, quels autres conseils les organismes centraux peuvent-ils fournir aux gestionnaires de la fonction publique quant à la façon de concilier les pratiques innovatrices et l'obligation liée à la responsabilité démocratique? Comment les études et les rapports des bureaux de vérification et de la fonction de contrôleur peuvent-ils servir à transmettre le soutien à l'innovation et à la prise de risques? Quels efforts fait-on pour amener les responsables politiques et bureaucratiques à mieux comprendre leurs responsabilités particulières et leurs obligations redditionnelles? Quelles études pourraient être entreprises pour déterminer comment les questions relatives à la capacité entravent l'innovation et ce que l'on peut faire à court terme pour améliorer la capacité? Comment les principaux leaders de la bureaucratie peuvent-ils veiller à ce que les cadres intermédiaires non seulement comprennent l'innovation et la prise de risques, mais également acquièrent les habiletés nécessaires pour former et inciter leur personnel à devenir plus innovateur? Quels autres programmes de formation les organismes de formation peuvent-ils concevoir pour favoriser l'acquisition des compétences liées à la gestion des risques? Les réponses à ces questions pourraient être abordées à la table ronde proposée.

IV. Stratégies possibles en vue d'une plus grande innovation et prise de risques : sommaire

Le présent document n'est pas destiné à élaborer des stratégies que le gouvernement fédéral pourrait adopter pour améliorer l'innovation et la prise de risques. On trouvera plutôt, ci-après, certaines suggestions relatées dans les textes examinés comme matière à réflexion pour la prochaine discussion en table ronde.

Patience et honnêteté

Commençons par affirmer que, en fait, les choses ne sont peut-être pas aussi difficiles qu'elles ne le semblent. Une partie du problème résulte peut-être dans le fait que les attentes sont trop élevées. Même si la demande d'innovation dans la fonction publique du Canada remonte presque à dix ans maintenant, en fait, comme Thomas l'a souligné, il s'agit d'une période relativement courte pour que l'on s'attende à des changements de culture qui vont à l'encontre des anciennes habitudes. Dès que l'on a dit que l'on s'attendait à de l'innovation, chacun a semblé s'attendre à ce que des idées innovatrices jaillissent immédiatement comme par miracle, en l'occurrence, de l'esprit fertile de fonctionnaires motivés. Toutefois, cela n'est pas réaliste, comme l'explique Thomas :

« […] il faut continuellement renforcer le message selon lequel les changements importants demandent du temps […] La patience et l’obstination sont souvent importantes pour changer les caractéristiques essentielles des organisations, telles leurs activités, leurs procédures et leurs cultures. Lorsque le processus de changement est lancé, les attentes auront tendance à se faire plus pressantes face aux lenteurs de la réalisation des améliorations effectives de la performance, et ce phénomène peut engendrer déception, découragement et opposition. Il appartient aux dirigeants de l'organisation de gérer le fossé qui existe entre les attentes et les résultats. » Note de bas de page32

Cela étant dit, on croit généralement dans la fonction publique que l'innovation est difficile et dangereuse. Thomas nous en prévient :

« Le maintien d’un soutien requiert souvent que les organisations gardent un pied dans le présent tout en faisant les premiers pas vers un avenir nouveau, souvent mal défini. Pour les raisons de crédibilité, il faut une perception honnête de l'incertitude et des risques liés au processus de changement. De nombreux efforts antérieurs de changements ont été perçus par le personnel comme ayant été des efforts coûteux, non productifs et démoralisants. » Note de bas de page33

Le Cinquième Rapport annuel au premier ministre sur la fonction publique du Canada du greffier du Conseil privé comprenait en fait ce genre de message.

« Avec tout le pouvoir et toute l’autorité au monde, on ne peut commander la créativité ni forcer l’innovation. On ne peut ordonner l’émergence de nouveaux résultats. Une nouvelle approche à la gestion s’impose. Une approche qui crée un climat de confiance, encourage la collaboration et crée un sentiment d’appartenance. Une approche qui reconnaît l’importance de partager l’exercice du pouvoir pour atteindre une plus grande responsabilisation collective. » Note de bas de page34

Il vaudrait peut-être la peine que les principaux leaders du gouvernement diffusent régulièrement de tels messages d'encouragement dans leurs communications avec leurs ministères.

Gestion intégrée du risque

La gestion du risque comme telle n'est pas un nouveau concept dans le secteur privé, mais il est relativement nouveau dans le secteur public. En 1992, le vérificateur général a entrepris une étude de l'impact de la réforme sur le contrôle, et a conclu que « la gestion du risque est un élément clé de la restructuration du cadre de contrôle et de responsabilisation du gouvernement » Note de bas de page35. Depuis, de nombreux gestionnaires du secteur public ont lancé des initiatives.

Dans ce contexte, nous aimerions ajouter que l’une des plus nouvelles tendances en gestion dans le secteur privé qui semble offrir de grands avantages au sein de la fonction publique est le concept de gestion intégrée du risque. Il exige l’élaboration d’un cadre qui permet à l’organisation de définir et de prévoir les multiples éléments qui peuvent avoir une incidence sur sa capacité de réaliser ses stratégies et d’atteindre ses objectifs, et d’y réagir avec efficacité Note de bas de page36. Plusieurs aspects de ce concept ajoutent à sa valeur. 1) Le premier est l’idée selon laquelle le risque présente une occasion de gain aussi bien que de perte Note de bas de page37. 2) La gestion intégrée du risque exige un engagement des cadres supérieurs de l’organisation parce qu’elle fait partie de la structure de régie. 3) Pour être efficace, elle exige la participation de toute l ’organisation et, par conséquent, permet de susciter une compréhension et des intérêts communs à l’échelle de l’organisation. 4) La gestion intégrée du risque comprend la nomination d’un « promoteur » qui est responsable de la gestion du risque de façon continue, mais qui n’est pas le seul responsable du risque organisationnel Note de bas de page38. 5) Enfin, même si le concept vient du secteur privé, il ne s’agit pas d’une méthode qui peut être appliquée telle quelle, mais d’un concept qui doit être élaboré par l’organisation qui souhaite le mettre en application. Il peut donc être adapté au secteur public.

Le gouvernement de l’Australie, par exemple, a adopté cette approche dans le cadre des initiatives du gouvernement en vue d’accroître la responsabilité du secteur public et a élaboré des lignes directrices visant la gestion du risque dans la fonction publique. Selon son document :

[traduction] « Le cadre administratif établi par les récentes réformes de l’APS [la fonction publique australienne] a créé un environnement où les gestionnaires et les employés doivent et peuvent prendre des décisions quant à la meilleure façon d’arriver à des résultats. On s’est ainsi attaché au rendement, à la saisie des occasions de progresser sans cesse grâce à l’innovation et à l'essai de nouvelles idées […] La gestion du risque doit être considérée comme partie intégrante du programme de réforme de l’APS. » Note de bas de page39

Cette approche moderne de gestion du risque offre des avantages que l’on pourrait songer à adapter à la fonction publique fédérale.

Nouvelles lignes directrices en matière d’éthique

Un document stratégique du PUMA (Comité de la gestion publique et Service de la gestion publique) publié en 1997 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montre que le besoin de faire évoluer la gestion de l’éthique afin de guider la réforme de la gestion publique est un souci dans de nombreux pays.

« Les tensions potentielles entre les notions classiques de l’administration (travailler selon les règles) et les nouvelles formes de gestion publique (obtenir des résultats grâce à l’innovation et à la gestion des risques) commencent à se faire sentir : en dépit, ou peut-être à cause, des changements en cours dans le secteur public des pays de l’OCDE, une bonne conduite et un comportement éthique sont impératifs. Le succès des réformes de la gestion publique, voire la confiance générale à l’égard des pouvoirs publics, en dépend. Cela exige qu’une infrastructure de l’éthique soit bien en place. » Note de bas de page40

Il existe peut-être un besoin de revoir l'excellente étude réalisée par le Groupe de travail des sous-ministres concernant les valeurs et l'éthique afin de poursuivre les discussions sur l'incidence de ses conclusions sur l'innovation et la prise de risques dans la fonction publique.

Secrétariat du Conseil du Trésor, fonction de contrôleur et gestion des ressources humaines

Le Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) a pris l'initiative de renforcer la fonction de contrôleur comme un moyen important d'améliorer le rendement du gouvernement dans le contexte d'une gestion publique en évolution. Le Rapport du Groupe de travail indépendant chargé de la modernisation de la fonction de contrôleur dans l’administration fédérale du Canada reconnaît les deux « points suivants comme étant les domaines qui exigent de plus en plus une excellence en matière de gestion :

Espérons que la nouvelle approche en ce qui concerne la fonction de contrôleur résoudra certains des problèmes concernant la responsabilité qui constitue une entrave à la prise de risques et à l'innovation.

Une autre initiative du SCT a été la préparation d'un « Cadre de travail pour une saine gestion des ressources humaines dans la fonction publique », qui contient plusieurs allusions à l'innovation et à la prise prudente de risques comme l'un des indicateurs de rendement d'une organisation efficace Note de bas de page42. En misant sur ce cadre, il pourrait être utile d'étudier davantage comment ces indicateurs du rendement sont compris et doivent être appliqués comme moyen de susciter l'innovation.

Formation en vue de l'habilitation

Nous avons déjà traité de l'éducation et de la formation des leaders dans les compétences liées à l'innovation. Il faut ajouter que l'habilitation, qui est un critère fondamental de l'innovation et de la prise de risques, exige également de la formation pour les gestionnaires et le personnel. M. Kernaghan nous donne l'exemple de B.C. Hydro qui a adopté une méthode de formation systématique pour les gestionnaires qui leur fournissaient un cadre pour les aider à comprendre le concept d'équipe de travail habilitée, et des séances préparatoires afin de comprendre les engagements nécessaires. Les chefs des équipes de travail bénéficiaient également d'une formation qui leur permettait de prendre des décisions éclairées, et les équipes de travail elles-mêmes étaient formées en relations interpersonnelles, en résolution de problèmes et en d'autres aspects de la gestion du rendement axée sur l’équipe. En Saskatchewan, la Commission de la fonction publique a créé une unité du changement organisationnel ayant pour mission d'« habiliter les employés grâce à l'apprentissage ». Cela a permis de créer une culture organisationnelle de l'habilitation en fournissant des services spécialisés dans des domaines comme le développement organisationnel et la gestion du changement. Note de bas de page43

Soutien des syndicats

Une autre suggestion intéressante de M. Kernaghan concerne le fait que même si la participation des syndicats n'est pas un élément explicite de la théorie de l'habilitation, le bon sens permettrait de croire que [traduction] « le soutien de syndicats envers les initiatives liées à l'habilitation faciliterait probablement son acceptation chez les employés syndiqués » Note de bas de page44. Les syndicats ont en fait entraîné l'abandon de modes de travail innovateurs parce qu'ils n'avaient pas participé à leur élaboration ou qu'ils ne les avaient pas mis en place. De plus, le soutien des syndicats envers l'innovation en tant que compétence fondamentale des employés pourrait permettre de contrer le facteur d'« incrédulité » qui a envahi la culture du secteur public.

Conclusion

L'innovation et la prise de risques ne constituent que deux aspects d'un changement de culture important au sein de la fonction publique du Canada, influencés par un changement de paradigme d'un fonctionnement et d'un contrôle bureaucratiques à un attachement à la qualité, au service et aux résultats. Le défi à relever est énorme comme l'a reconnu le greffier du Conseil privé.

« Pour relever ce défi, la fonction publique du Canada doit se décloisonner. Cela ne signifie pas pour autant de changer les structures, les cadres législatifs ou l’imputabilité. Il s’agit plutôt de réduire les obstacles aux échanges d’idées et d’information au sein de l’organisation et entre les organisations. Ces obstacles sont parfois physiques, d’autres sont inhérents à nos systèmes d’information, mais la plupart sont culturels. Ces derniers sont assurément les plus difficiles à surmonter. » Note de bas de page45

Nous n'avons pas le choix de relever ce défi. La compétitivité mondiale exige que la fonction publique canadienne évolue, devienne plus entrepreneuriale et créatrice. Si certains des défis et des approches qui ont été discutés dans le présent document sont relevés, les chefs de file de la fonction publique pourront peut-être bientôt déclarer la même chose que le groupe financier de la Banque Royale qui a entrepris sa propre révolution :

[traduction] « Aujourd'hui, il y a une somme énorme d'énergie au sein des organisations. Nous avons redonné un second souffle à notre enthousiasme, à notre capacité de prendre des risques et à notre créativité. Nous sommes redevenus fonceurs. Les gens savent où nous allons, ils savent qu'ils peuvent avoir une incidence sur notre rendement, et ils sont largement récompensés pour cela. » Note de bas de page46


1Peter Kizilos, « Crazy about Empowerment? », d'après Kernaghan, Kenneth, « Empowerment and public administration: revolutionary advance or passing fancy? », Administration publique du Canada, vol. 35, no 2, été 1991, p. 206. Retour à la référence 1

2 Drucker, Peter, Les entrepreneurs, 1985. Retour à la référence 2

3 Aucoin, Peter, The New Public Management — Canada in Comparative Perspective, Institute for Research on Public Policy, 1995, p. 2. Retour à la référence 3

4 Zussman, David, « Baisse de la confiance envers les gouvernements : un phénomène mondial », Aperçu, vol. 2, no 4, Centre de recherche sur la gestion publique, p. 1. Retour à la référence 4

5 Aucoin, Peter, The New Public Management — Canada in Comparative Perspective, Institute for Research on Public Policy, 1995, p. 1-2. Retour à la référence 5

6 Aucoin, Peter, ibid., p. 169-170. Retour à la référence 6

7 Fonction publique 2000 : le renouvellement de la fonction publique du Canada, Ministre des Approvisionnements et des Services Canada, 1990, p. 52-53. Retour à la référence 7

8 « Report of the Special Committee on Reform of the House of Commons in Canada », d'après Aucoin, Peter, The New Public Management — Canada in Comparative Perspective, Institute for Research on Public Policy, 1995, p. 40. Retour à la référence 8

9 Aucoin, Peter, The New Public Management — Canada in Comparative Perspective, Institute for Research on Public Policy, 1995, p. 219. Retour à la référence 9

10 Aucoin, Peter, ibid., p. 221. Retour à la référence 10

11 Aucoin, Peter, ibid., p. 220. Retour à la référence 11

12 Paquet, Gilles, « The burden of office, ethics and connoisseurship », Administration publique du Canada, vol. 40, no 1, printemps 1997, p. 65-66. Retour à la référence 12

13 Thomas, Paul G., « Au-delà des mots à la mode : faire face au changement dans le secteur public », Revue internationale des sciences administratives, vol. 62, no 1, mars 1996, p. 34 Retour à la référence 13

14 Kettl, Donald, « The Global Revolution in Public Management: Driving Themes, Missing Links », Journal of Policy Analysis and Management, vol. 16, no. 3, 1997, p. 455. Retour à la référence 14

15 Public Policy Forum, « Final Report — Focus Groups Consultations Examining Issues Related to Organizational Retention and Compensation », 12 septembre 1997, p. 20. Retour à la référence 15

16 Public Policy Forum, ibid., p. 16. Retour à la référence 16

17 Public Policy Forum, ibid., p. 20. Retour à la référence 17

18 Aucoin, Peter, The New Public Management — Canada in Comparative Perspective, Institute for Research on Public Policy, 1995, p. 250. Retour à la référence 18

19 Roberts, Alasdair, « Worrying about misconduct: the control lobby and the PS 2000 reforms », Administration publique du Canada, vol. 39, no 4, hiver 1996, p. 489-523. Retour à la référence 19

20 Public Policy Forum, « Final Report — Focus Groups Consultations Examining Issues Related to Organizational Retention and Compensation », 12 septembre 1997, p. 20. Retour à la référence 20

21 Exley, Margaret, « Organisation and Managerial Capacity », 1987, d'après John Gretton et Anthony Harrision (éd), Reshaping Central Government, New Brunswick, NJ: Transaction Books. Retour à la référence 21

22 Kettl, Donald F., « The Global Revolution in Public Management: Driving Themes, Missing Links », Journal of Policy Analysis and Management, vol. 16, no. 3, 1997, p. 455. Retour à la référence 22

23 Public Policy Forum, « Final Report — Focus Groups Consultations Examining Issues Related to Organizational Retention and Compensation », 12 septembre 1997, p. 20. Retour à la référence 23

24 Kernaghan, Kenneth, « Towards a public-service code of conduct — and beyond », Administration publique du Canada, vol. 40, no 1, printemps 1997, p. 40-54. Retour à la référence 24

25 Kernaghan, Kenneth, « The emerging public service culture: values, ethics and reforms, » Administration publique du Canada, vol. 37, no. 4, hiver 1994, p. 629. Retour à la référence 25

26 Groupe de travail des sous-ministres, Groupe de travail sur les valeurs et l’éthique, « Document de réflexion sur les valeurs et l’éthique dans la fonction publique », Gouvernement du Canada, 1996, p. 2 Retour à la référence 26

27 Thomas, Paul G., « Au-delà des mots à la mode : faire face au changement dans le secteur public », Revue internationale des sciences administratives, vol. 62, no 1, mars 1996, p. 27. Retour à la référence 27

28 Swift, Frank, « Gestion stratégique et fonction publique : l’évolution du rôle du sous-ministre », Centre canadien de gestion, novembre 1993, p. 20-21. Retour à la référence 28

29 Public Policy Forum, « Final Report — Focus Groups Consultations Examining Issues Related to Organizational Retention and Compensation », 12 septembre 1997, p. 20. Retour à la référence 29

30 Barbara Wake Carroll, d'après Aucoin, Peter, The New Public Management — Canada in Comparative Perspective, Institute for Research on Public Policy, 1995, p. 167. Retour à la référence 30

31 David Zussman and Jak Jabes, The Vertical Solitude: Managing in the Public Sector, Halifax: Institute for Research on Public Policy, 1989, p. 203. Retour à la référence 31

32 Thomas, Paul G., « Au-delà des mots à la mode : faire face au changement dans le secteur public », Revue internationale des sciences administratives, vol. 62, no 1, mars 1996, p. 32. Retour à la référence 32

33 Thomas, Paul G., « Au-delà des mots à la mode : faire face au changement dans le secteur public », Revue internationale des sciences administratives, vol. 62, no 1, mars 1996, p. 31. Retour à la référence 33

34 « Cinquième rapport annuel au Premier ministre sur la fonction publique du Canada », Gouvernement du Canada, 1998, p. 23. Retour à la référence 34

35 Wilshire, Colin E., « Comment gérer les projets de réingénierie pour obtenir des résultats », Optimum, la revue de gestion du secteur public, vol. 27, no 3, hiver 1996-1997, p. 17. Retour à la référence 35

36 Nottingham, Lucy, « Integrated Risk Management », Canadian Business Review, été 1996, p. 26. Retour à la référence 36

37 Birkbeck, Kimberley, « Realizing the Rewards in Risk », The Conference Board of Canada, 236-98 — Members’ Briefing, p. 2. Retour à la référence 37

38 Nottingham, Lucy, « Integrated Risk Management », Canadian Business Review, été 1996, p. 27. Retour à la référence 38

39 « Managing Risk — Guidelines for Managing Risk in the Australia Public Service », Management Advisory Board, Government of Australia, juillet 1995, p. 1. Retour à la référence 39

40 Service de la gestion publique – Note de synthèse, « L’éthique et le service public », OCDE, février 1997. Retour à la référence 40

41 « Rapport du Groupe de travail indépendant chargé de la modernisation de la fonction de contrôleur dans l’administration fédérale du Canada », Gouvernement du Canada, 1997, p. 2-3. Retour à la référence 41

42 « Cadre de travail pour une saine gestion des ressources humaines dans la fonction publique », Secrétariat du Conseil du Trésor, 1998, p. 3, 6 et 11. Retour à la référence 42

43 Kernaghan, Kenneth, « Empowerment and public administration: revolutionary advance or passing fancy? », Administration publique du Canada, vol. 35, no 2, été 1992, p. 203. Retour à la référence 43

44 Kernaghan, Kenneth, ibid., p. 205. Retour à la référence 43

45 « Cinquième rapport annuel au Premier ministre sur la fonction publique du Canada », Gouvernement du Canada, 1998, p. 21. Retour à la référence 45

46 « Being Bold is Back », Royal Bank Financial Group, 1997, p. 3. Retour à la référence 46